Culture

Vertiges, la vie intime d’une jeune femme au milieu du 19e siècle

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Azélie Papineau, fille du célèbre patriote Louis-Joseph Papineau et de Julie Bruneau, a rédigé un journal intime quelques mois entre 1867 et 1868. Elle était alors l’épouse de Napoléon Bourassa, artiste, et mère de quatre enfants : Augustine, Gustave, Adine et Henri. Georges Aubin, historien spécialiste des patriotes, a transcrit et annoté ce manuscrit découvert aux archives de la BANQ. Micheline Lachance, auteure de Le Roman de Julie Papineau, signe l’avant-propos.

Le journal intime féminin

Au 19e siècle, plusieurs jeunes filles rédigent un journal intime. La plupart s’y confient comme à un ami jusqu’à leur mariage. Écrire dans des carnets secrets calme les angoisses, les chagrins d’amour et prend parfois des tournures littéraires et philosophiques.

Azélie Papineau, pour sa part, rédige son journal alors qu’elle est mariée et mère de famille. Celui-ci s’échelonne sur quelques mois seulement, car elle va mourir âgée de 34 ans à peine.

La famille d’Azélie

Georges Aubin, qui a consacré 25 années de sa vie à ses recherches sur les patriotes, connaît les Papineau mieux que personne. Aussi, il relate avec détails la vie de cette famille emblématique du Québec. Sa riche introduction nous éclaire sur le mal qui habite Azélie et nous permet de mieux apprécier la lecture des pages de son journal.

Cadette de la famille, Azélie, née en 1834, grandit au cœur de la Rébellion : « […] le départ en catastrophe, pendant la nuit, puis l’arrivée à Verchères, les récits de batailles, la fuite vers Saint-Hyacinthe. Et tout cela sans aucune nouvelle du père […]. » Le conflit armé sépare la famille et entraîne de nombreux déplacements, ce qui fragilise la santé d’Azélie.

Une femme artiste

Un peu plus tard, elle rencontre Mary, son amie américaine, qui partage la même passion pour la musique et la littérature. Douée en musique, Azélie suit des cours de piano, lequel sera son exutoire pendant de nombreuses années : « Jamais je n’oublierai qu’elle m’a presque sauvée de la folie, du moins, c’est la première jouissance que j’aie ressentie, la première occupation que j’aie pu goûter après plusieurs mois de ténébreuses souffrances où mon âme semblait morte à tout en ce monde, […] [1]». En 1868, elle publie des critiques musicales, de façon anonyme, dans le Nouveau Monde.

La spiritualité, l’écriture et la lecture donnent un sens à sa vie entre les périodes de crise : « En relisant quelques-unes des Harmonies de Lamartine, que je n’avais pas vues depuis dix à douze ans, j’éprouve une impression de triste effroi. Ces vers de sa jeunesse sont beaux non seulement de forme, mais de pensée. Et quand je dis beau, c’est que j’y vois l’empreinte religieuse, l’harmonie de l’âme avec les beautés surnaturelles que Dieu seul révèle et inspire[2]»

Éduquée par les religieuses et par un père vieillissant très autoritaire, déchirée entre le bien et le mal, elle est consciente de ses contradictions : « J’ai peur de vivre et j’ai peur de mourir[3]»

Passionnée, assoiffée de liberté, Azélie adhère difficilement au modèle féminin proposé. Heureusement, la famille, les amis, les livres savent l’entourer : « Nous sommes à Saint-Hyacinthe. Mon mari a de l’ouvrage à son goût, […] Quant au moral, à l’intellectuel, j’aurai suffisamment de compagnie agréable et intelligente, mes cousines Papineau et Leman, des livres quand j’en voudrai[4]»

Les pages intimes d’Azélie Papineau esquissent un portrait bouleversant de la réalité des femmes d’une époque pas si lointaine de notre histoire.

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Azélie Papineau. Vertiges, Journal (1867-68). Introduction et notes de Georges Aubin. Avant-propos de Micheline Lachance. Montréal, VLB éditeur, 2018, 144 p.

 

Post-Scriptum :

[1] Journal, 10 janvier 1868.

[2] Ibid.

[3] Journal, 21 mars 1868.

[4] Journal, 8 avril 1868.