Paul-Henri Frenière
Le pipeline à fric
Un candidat qui dévoile ses avoirs de 10 millions de dollars. Un autre qui en a déjà caché 600 000 dans un paradis fiscal. Et une vedette montante qui s'avère être l'une des plus grosses fortunes du pays. Dans ce tourbillon de gros bidous, le pauvre électeur peut bien avoir le tournis.
Avant l'avènement de la démocratie (démos – peuple et kratos – pouvoir), la gouvernance des sociétés étaient souvent l'affaire des plus nantis. Les choses ont-elles vraiment changé?
La réponse est oui. Les « vrais » riches ont beaucoup mieux à faire que de discutailler dans les parlements. Ils s'occupent de leur business dans un monde globalisé où le pipeline à fric n'a pas de frontières et finit toujours par remplir les poches des mêmes : les membres de ce petit club sélect (les 1%) qui consomment les mêmes hôtels, les mêmes châteaux, les mêmes voitures et fréquentent les mêmes restaurants.
De temps à autre, ils vont inviter des politiques à leur château ou au restaurant, ceux qu'ils auront ciblés pour leur capacité à convaincre le bon peuple. Et ils vont tracer les grandes lignes de leur agenda.
– D'ici 10 ans, il faudrait me privatiser ça. J'ai des compagnies à faire vivre…
Le plus curieux, c'est qu'ils ne se contentent pas de siphonner allègrement les richesses collectives. On en veut encore plus. On s'attarde même à rapetisser davantage la petite pointe de tarte concédée au bon peuple.
– Hum! Un assisté social de 57 ans qui reçoit 700$ par mois de l'État. C'est beaucoup trop, on doit couper ça.
– Mademoiselle, c'est combien la facture pour les Châteaubiand et la bouteille de Châteauneuf? Je paye aussi pour mon ami politique. 600? Tiens, voilà 700$ et garde la monnaie…
Et voilà que la serveuse s'en retourne, toute fière de la générosité de son client, lui qui n'a fait que payer 15% de sa facture. Elle votera sûrement pour le monsieur assis à sa table. Du bien bon monde…
Étonnant le nombre de gagne-petit qui donnent leur confiance à ceux qui vont les exploiter. J'ai même déjà entendu des assistés sociaux dire qu'ils allaient voter pour un parti qui était carrément à droite. « Il nous a dit qu'on aurait 100$ de plus dans nos poches ».
C'est ça le malheur. Facile d’appâter quelqu'un qui n'a rien. Ou qui a peur de perdre le peu qu'il a. Les groupes d'éducation populaire font bien ce qu'ils peuvent – avec les maigres moyens qu'ils ont –, mais l'ignorance demeure le pire ennemi de la justice sociale.
Avez-vous remarqué qu'on ne parle plus de « justice sociale ». Graduellement, les politiques ont remplacé cette expression par « cohésion sociale ». La cohésion devant être une espèce de vaseline que l'on applique pour que la pénétration soit moins douloureuse.
Enfin, il ne faut pas trop s'inquiéter parce que nos politiques nous ont tous promis la prospérité. « Créer la richesse » est devenu le nouveau leitmotiv de tous ces gens qui veulent notre bien. Allons les amis, créons ensemble la richesse! Le pipeline à fric en redemande.
Re: Le pipeline à fric
J’aime particulièrement l’une des contributions de ce billet: la mention du glissement du concept de « justice sociale » vers celui de « cohésion sociale ». Voilà bien le rôle que l’intellectuel doit jouer: révéler les contradictions de la société. Merci pour cet apport.
Michel Filion