Culture

Facteur d’orgues : le métier qui défie le temps

Alain Goneau devant un orgue actuellement en construction dans les ateliers de Casavant Frères. Photo Roger Lafrance

Dès qu’on entre dans les bureaux de Casavant Frères, rue Girouard, on se sent gagné par l’emprise du temps. Le moindre recoin du bâtiment est chargé d’histoire. C’est en effet dans ces murs que les frères Claver et Samuel Casavant ont fondé le réputé facteur d’orgues.

Casavant Frères fait tellement partie du paysage maskoutain qu’on finit par oublier sa présence. Et pourtant, des orgues continuent d’être fabriqués en ces lieux historiques, instruments qui défieront eux aussi le temps.

« Les principes de base de la fabrication d’un orgue sont encore pas mal les mêmes qu’autrefois, indique Alain Goneau, directeur tonique. Quand leur père Joseph Casavant a appris le métier, il s’était servi d’un livre publié par un moine en 1776 ou 1778. Ce livre, il m’arrive encore de m’y référer, même s’il est écrit dans un vieux français ! »

Casavant Frères fabrique encore des orgues pour des églises et des salles de concert un peu partout dans le monde, même si les États-Unis constituent toujours son principal marché. Les jours précédents notre entrevue, Alain Goneau était en Corée pour finaliser l’installation d’un orgue.

La fabrication d’un orgue, c’est un métier d’artisans dans sa plus noble expression, que ce soit dans le travail du métal avec la fonderie et la tuyauterie ou du bois (menuiserie et ébénisterie). Car chaque orgue est unique. Tout est conçu et fabriqué sur mesure, pièce par pièce.

« Un des aspects que les gens ont souvent de la difficulté à comprendre, c’est que dans une industrie, tu vas fabriquer une pièce mille fois par exemple. Nous, on fabrique 1000 pièces une seule fois, » résume Alain Goneau.

Casavant conserve précieusement les plans de tous les orgues construits depuis 1879.
Photo Roger Lafrance
 

Fabriquer un orgue peut demander en moyenne 18 mois de travail, mais les délais peuvent être beaucoup plus longs. Chaque projet requiert de nombreuses décisions et réunit de nombreux intervenants qui ont voix au chapitre.

Chaque orgue est monté entièrement dans les installations de Saint-Hyacinthe avant d’être démonté et remonté dans son lieu de destination. Une opération complexe, comme on peut facilement le deviner, surtout qu’elle se déroule à l’autre bout du monde.

À titre d’exemple, l’orgue conçu pour la Maison symphonique de Montréal a nécessité pas moins de 35 000 heures de travail et pas moins de 6489 tuyaux !

Une question d’équilibre

Dans la conception d’un instrument, le facteur d’orgues devra trouver le bon équilibre entre l’aspect visuel, l’aspect mécanique et le son, auquel on peut aussi ajouter la salle où il se trouvera. Évidemment, l’aspect financier est aussi un facteur dont il faudra tenir compte.

« Un bon facteur d’orgues c’est celui qui fera les bons choix au niveau des compromis, » souligne Alain Goneau.

Le défi de la main-d’œuvre est toujours bien présent, reconnaît-il, car il faut beaucoup de temps et d’expérience pour que les artisans puissent développer leur plein potentiel. Surtout dans un monde où la mobilité de la main-d’œuvre est plus que jamais présente. Elle est bien loin l’époque où les artisans passaient 40 ans de leur vie chez Casavant Frères.

Si notre rapport au temps a bien changé depuis 1879, année de la fondation de l’entreprise, avouons que construire un instrument qui va durer plus de 100 ans a aussi son charme.

Photo : Roger Lafrance