Culture

L’amitié au masculin

L'auteur, Benoit Jodoin.

Dans l’édition de septembre 2024 du journal Mobiles, j’avais consacré ma chronique au livre de Benoit Jodoin :  Pourquoi je n’écris pas. Réflexions sur la culture de la pauvreté, publié aux éditions Triptyque.  Ce récit très personnel et intime abordait la pauvreté, la diversité et la difficulté, dans un tel contexte, de se faire confiance et d’oser créer. Un an plus tard, l’auteur natif de Beloeil, nous revient avec un nouvel essai.  Inspiré cette fois par son adolescence, par les lettres d’un ami et par ses lectures sur l’amitié chez les hommes, Benoit Jodoin signe :  Archives de nos amitiés imparfaites. Ce texte prend la forme d’une correspondance à cet ami devenu adulte : « En t’adressant ces lettres, je veux brosser un portrait de nous à partir d’une mémoire choisie. C’est ma façon de te tendre la main… Je veux faire de l’écriture le moyen de nous solidariser. » Tout en s’adressant à un ami homosexuel, les propos de Benoit Jodoin nous rejoignent tous et toutes dans notre vulnérabilité.

Archives de l’intime

Tel qu’exposé sur la page couverture, l’auteur a plongé dans ses archives matérielles, souvenirs de ses études dans les années 1990 : lettres, agendas, photographies, album de finissants. Ce choix de tout conserver malgré les années et les déménagements témoigne de l’importance de ces lettres échangées en secret.  Dans cet ancien séminaire, « Nous nous sommes épaulés, sans jamais révéler clairement à l’autre notre différence, dans ce silence forcé qui façonnait notre complicité. … Je ne t’ai jamais dit que ces longs couloirs couverts de centaines de photographies en noir et blanc me faisaient rêver d’une camaraderie masculine sensible, chaleureuse, idéalisée, alors qu’elle était si codée, si suspecte en notre temps. »

De gai à queer

« Est queer ce qui autorise que les choses restent brouillées, incomprises, inachevées, confuses, complexes. Le queer corrompt l’ordre par la pensée. Il ne cherche pas à savoir à tout prix, à tout définir, maîtriser, nommer, vulgariser. »

Adolescent, Benoit Jodoin se définit comme un homme gai car il ne connaissait pas encore le terme queer.  Depuis quelques années, c’est avec ce terme que les personnes 2SLGBTQIA+ s’identifient. Jodoin enrichit sa réflexion sur le sujet en lisant sur les amitiés masculines de figures historiques : Whitman et Vaughan, Proust et Montesquieu, Gandhi et Kellenbach, Rimbaud et Verlaine, Dalí et García Lorca : « Grâce à ces lectures, j’ai pu repenser à ce que nous avons été par la mémoire de générations de personnes qui, avant nous, ont réchauffé leur solitude avec une complicité précieuse, des êtres qui, comme nous racontent qui nous sommes par procuration. »

Les amitiés imparfaites

L’adolescence, étape de vie si importante, a construit ces deux jeunes hommes en devenir. On reconnait bien le centre-ville de Saint-Hyacinthe lorsqu’avec son ami il sèche les cours pour aller manger chez Valentine et « chercher des beignes bruns et mouillés chez Pinsonneault. »L’auteur raconte aussi une visite marquante dans une maison de fin de vie pour hommes sidéens : « Pour moi, c’était une leçon de plus : ma sexualité, en plus d’être sale, s’avérait mortelle. »

Leurs retrouvailles, des années plus tard, nous incitent à réfléchir sur nos amitiés : on peut faire le choix de les conserver, car elles nous offrent un rempart, un refuge dans ce monde parfois si hostile et fermé face à la différence.  Pourquoi ne pas faire revivre une amitié, ne serait-ce que pour le bonheur d’être ensemble, l’un pour l’autre, dans la bienveillance et la tendresse.

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Benoit Jodoin, Archives de nos amitiés imparfaites.  Éditions Tryptique, 2025, 134 p. (collection Queer)