Culture

Le premier jour du reste de ma vie

Ainsi aurait pu s’intituler le dernier livre de Nathalie Prince, Quatre saisons et un enterrement, publié chez Flammarion.Dans ce récit, la narratrice, Nathalie, raconte les hauts et les bas du petit quotidien, au fil des saisons qui suivent le décès de son mari. Empreint de beauté et d’optimisme, ce livre donne envie de vivre et de créer de la beauté autour de nous.

Affronter le réel

Tout commence alors que Nathalie raconte les dernières heures passées avec l’amour de sa vie à l’hôpital : « Tu es là et je me remplis de toi. On est comme dans une de ces nouvelles que je te lisais, le soir. On est dans une histoire d’amour fantastique de Gautier, de Poe ou de Rodenbach. Oui, voilà, je suis dans une de ces histoires. Ça ne peut pas être mon histoire. Je te regarde et je te lis. Je suis passée dans un conte cruel. Je lis Villiers de l’Isle-Adam. Je suis mise en abyme. »

Ce texte très poétique, très touchant, est imprégné des lectures de l’auteure. Les références à la philosophie, à la littérature et au fantastique abondent.

En mode survie, l’héroïne affronte le réel malgré le vertige que provoque la perte de cet amour passion. Le jour de l’enterrement elle dit : « À toi qui es partout autour de nous, je voudrais dire le merveilleux amour que nous avons vécu et le bonheur infini que j’ai eu avec toi. Il va me falloir désormais apprendre tout sans toi et je me prépare à vivre le premier jour du reste de ma vie. »

La nature et la création

Nathalie, mère de quatre enfants, ébranlée par la douleur, trouve refuge dans la beauté de la nature. Sur le lot de son mari, au cimetière, elle crée un jardin de fleurs dont elle prend grand soin au fil des semaines. Cet endroit se distingue nettement des autres tombes : « Le jardin permet de voir le temps passer, de comprendre ce qui se passe, de faire son deuil. […] La nature s’accommode à l’esprit et, ici, je me sens partout chez moi. […] Moi je sais que je trouverai mon chemin dans ce jardin, guidée par l’air qui me caresse et les tiges des fleurs qui se balancent au vent. Il faut bien croire en quelque chose, pour partager la douleur qu’on a dans le cœur. […] Je veux croire en ces fleurs qui sont si belles sur toi. »

Fragments intimes

À la manière d’un journal personnel, le livre réunit plusieurs textes brefs, datés et regroupés en quatre parties : hiver, printemps, été, automne.  Certains fragments sont imprimés à la manière d’un message texte, d’autres sous forme de correspondance officielle. Bref, c’est très varié, fluide et agréable à lire.

La narratrice nous livre ses confidences et ses émotions au fil des jours. Certains fragments ont une suite dans le temps. Par exemple, La voiture : formalités administratives 1/4 constitue le début d’un dossier lourd, parfois absurde, que l’on suit au fil des chapitres jusqu’au dénouement, l’épisode 4/4. Mieux vaut en rire…

Hommage à la vie et à l’amour

Ce livre parfois triste se révèle davantage un hommage à l’amour et à la vie. Nathalie s’accroche et trouve un peu de paix en faisant ce qui la passionne : écrire, lire, jardiner…

Nous sommes toujours dans la tête de Nathalie qui se regarde vivre sans son amoureux, qui observe la vie et qui écrit. À certains moments, elle nous émeut aux larmes puis, l’autodérision, l’ironie et l’humour noir modifient le ton. On rage avec elle de la lourdeur administrative et de la bureaucratie typiques à la France. On éclate de rire lorsqu’elle dénonce des situations absurdes que ce soit devant un fonctionnaire ou un employé incompétent. Pour se venger, elle leur invente une vie. C’est plein de cruauté délicieuse. Une belle petite vengeance.

Bref, un excellent roman, très bien écrit, qui nous invite à réfléchir :

« Si l’on avait de quoi mesurer le bonheur, les hommes seraient peut-être plus heureux. Ils sauraient qu’ils doivent s’arrêter, profiter, jouir au lieu de courir. Ils sauraient qu’ils doivent garder tel ou tel moment en mémoire pour les jours où ils en auront besoin. Pour faire des provisions de bonheur. S’en mettre plein les joues et plein le cœur. On ne fait jamais d’indigestion de bonheur. »

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Note sur l’auteure : Nathalie Prince a publié plusieurs essais sur la littérature jeunesse et la littérature fantastique. Elle enseigne la littérature de jeunesse à l’Université du Mans.

Nathalie Prince. Un enterrement et quatre saisons. Éditions Flammarion, 2021, 265 p.