Anne-Marie Aubin
Mille secrets mille dangers : coup de coeur de la saison
Il y a quelques semaines, le Conseil des Arts du Canada annonçait la liste des titres lauréats des prix littéraires du Gouverneur Général du Canada 2022. Dans la catégorie « roman », Mille secrets mille dangers d’Alain Farah a été choisi par le jury. Ce prix prestigieux s’ajoute aux nombreuses autres récompenses accordées à ce livre. L’auteur, professeur de littérature et de création à l’Université McGill, a non seulement publié des romans, mais aussi de la poésie et du théâtre en plus d’avoir adapté pour la scène le film de Denys Arcand : Le déclin de l’empire américain. Roman autobiographique qui dépasse largement l’autofiction, Mille secrets mille dangers vous tiendra en haleine au fil des 407 pages !
Immigration et quête identitaire
Le roman débute le jour du mariage de Virginie Pellerin Wise et Alain Farah. Le futur marié passera une journée inoubliable : vingt-quatre heures éprouvantes, quasi incroyables. Au fil des chapitres, l’auteur joue habilement avec le temps et l’espace pour nous présenter les principaux personnages de ce récit de vie. Libanais égyptiens, les parents d’Alain et de son cousin Édouard ont fui les guerres du Moyen-Orient pour venir s’installer au Québec. Ces deux jeunes héros ont vécu dans le même immeuble du petit Liban à Ville Saint-Laurent, traversant difficilement l’enfance et l’adolescence dans des familles déchirées. Devenus adultes, ces fils d’immigrants s’en tirent comme ils le peuvent malgré la lourdeur de l’héritage familial. Édouard n’a pas eu de chance et Alain, de santé fragile, est toujours en quête d’identité : « Égyptien pure laine. Québécois pur foul. Libanais par le mauvais œil, Montréalais du Petit Liban. Arabe de culture. Phénicien par l’ADN, Chawam des deux côtés, maronite par Dieu. Levantin dans le silence de l’hiver. »
Humour et autodérision
Ce récit, essentiellement au passé, annonce parfois des événements futurs et présente quelques scènes plus près du présent de l’écriture de l’auteur. On reconnaît les lieux décrits ainsi que des événements comme l’attentat de Charlie Hebdo qui coïncide avec le jour des funérailles de Myriam, la meilleure amie d’Alain et Virginie. Atteint d’une maladie auto-immune, le héros souffre continuellement et avale quantité de médicaments. Tout est fragile pour cet émotif trop intense : la santé, la famille, le mariage, l’amitié, le couple, la vie… Malgré tout, le roman n’est jamais lourd, les personnages sont crédibles et touchants. Farah traite les drames avec humour et autodérision. Édouard, garagiste, l’envie de recevoir des subventions pour analyser des poèmes et se moque bien de lui d’ailleurs : « T’es pris dans tes histoires de littérature pis tes romans que personne lit sauf trois ou quatre weirdos. »
Le mariage d’Alain et Virginie donne lieu à une réflexion sur la religion, la leur, la nôtre, les superstitions, les croyances populaires : « Face à la souffrance et au désespoir, la seule façon de ne pas mourir, c’est d’avoir la foi » lui rappelle son père. Cette histoire pas banale est riche en rebondissements, intime par moments, dense et habilement écrite. Alain Farah a su rejoindre l’universel dans ce texte qu’on dévore en tissant des liens d’un chapitre à l’autre grâce à une intrigue bien construite. Il ne faut surtout pas croire Édouard, le garçon d’honneur qui dit : « Il est temps que tu te rendes compte que tes livres ne sont pas à la veille d’être adaptés au cinéma », car Philipe Falardeau travaille à ce projet. On a tous hâte de voir ça à l’écran !
Alain Farah. Mille secrets mille dangers. Éditions Le Quartanier, 2021, 497 p. (collection QR)
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