Culture

Nos forêts intérieures : un hommage à la nature sauvage

Dans ce premier roman, Julie Dugal réunit une centaine de fragments relatant différents épisodes de l’enfance, de l’adolescence et de l’âge adulte de Nathalie, jeune femme qui s’interroge sur le destin, les routes que l’on emprunte et que l’on suit plus ou moins consciemment. Véritable découverte, cette jeune romancière nous offre un récit intimiste, poétique et authentique. Finaliste au Prix des libraires du Québec, ce roman est idéal pendant le confinement qui se poursuit.

Retour aux racines

Comme l’auteure, Nathalie a grandi dans une nature sauvage, entourée de sa famille. Elle a vécu en symbiose avec sa cousine Karine jusqu’à l’âge adulte où elles ont emprunté des routes divergentes. Alors qu’adolescentes, les deux cousines ont déménagé en ville et ont suivi le courant, désillusionnées, elles se sont cherchées : l’une, à travers la vente de plats Tupperware, l’autre, en se vautrant dans les téléséries et le vin.

Quelque chose s’est brisé à la naissance de la deuxième fille de Nathalie. Rien n’allait plus dans sa vie de femme, de couple, de mère : « L’arrivée de Magalie a réveillé ma forêt intérieure […] Magalie est sortie des entrailles de ma forêt un matin de novembre. En venant au monde, elle a cassé mes branches dans lesquelles elle a grandi neuf mois, entortillée. »

Voir grandir son enfant nous ramène à nos racines, à notre enfance, à ce que l’on désire transmettre. L’auteure a sans doute puisé dans ses souvenirs pour raconter la forêt, le lac, les champs, les petits fruits à profusion. Les légendes de l’oncle Paul entourant la sorcière du quatrième rang et les oiseaux fantômes frappent l’imaginaire des enfants. « J’aimais ça, les histoires de mononcle Paul, j’aimais ça avoir peur, suspendue à ses lèvres, et sentir mon cœur palpiter et me demander ce qui allait arriver. »

Se réapproprier l’enfance

La famille de Nathalie aime se réunir pour boire de la crème de menthe, de la bière Laurentide, pour fumer des Player’s Light. Les enfants, très libres, se régalent de Kit Kat, de chips Yum-Yum, de biscuits Fudgee-O, de saucisses et de guimauves autour du feu.

« On reste couchées dans l’Econoline. On est seules au monde, ici, même les maringouins nous laissent tranquilles. Des fois, on vient quand il y a trop de visite chez nous, trop de fumée ou trop de musique forte, quand nos yeux brûlent et qu’on a besoin de calme. Ici, nos rêves sont infinis, ils touchent le ciel et dansent au vent avec les épinettes. »

Les descriptions poétiques du décor, par exemple cette métaphore de la forêt qui tisse le roman, créent des images fortes. D’une manière réaliste, mais qui n’est pas dénuée de poésie, elle décrit une époque aujourd’hui révolue. Lucide, l’héroïne sait qu’elle ne pourra jamais offrir une vie semblable à ses filles. Trop de choses ont changé. « La liberté que mes parents m’ont donnée dans la forêt au milieu des lacs, des chevreuils, des chats sauvages et des bancs de neige plus hauts que la maison […] La neige, les bleuets, le lac, les épinettes, tout ça, je ne pourrai jamais leur donner. »

La jeune maman revisite sa forêt avec ses enfants, loin du tourbillon, tel un pèlerinage au pays de l’enfance malgré le fait que rien ne soit pareil : « Elle est là, la vraie malédiction de la forêt Rouge. Vidée de ses épinettes géantes à coups de dix roues chargés de troncs et de pépines s’enfonçant toujours plus loin en son cœur. […] On est tous des bêtes sauvages, on est tous des oiseaux fantômes, on est tous en voie d’extinction. »

Julie Dugal sait nous émouvoir et nous faire sourire dans ce texte très incarné qui s’inscrit dans un mouvement de romans mettant en valeur la région, le terroir, les racines.

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DUGAL, Julie. Nos forêts intérieures, Montréal, Marchand de feuilles, 2020, 398 p.