Catherine Courchesne
Phara Thibault : le théâtre dans la (couleur de) peau
Inspirée par le mouvement Black Lives Matter, Phara Thibault a écrit un monologue autobiographique intitulé Chokola, titre faisant référence à la couleur de sa peau. Avec cette pièce révélant le racisme là même où il y a de l’amour, l’étudiante de deuxième année en Interprétation théâtrale de l’École de théâtre du Cégep de Saint-Hyacinthe a remporté le 26e Concours intercollégial d’écriture dramatique l’Égrégore. « Ce prix a changé ma vie », admet la gagnante, avec émotion, lors d’un entretien téléphonique accordé au journal Mobiles.
Émue, c’est peu dire, car Phara Thibault a écrit cette pièce suite à une grande révélation. « Née à Haïti, j’ai été adoptée par des parents blancs du Québec. Malgré tout l’amour qu’ils avaient pour moi, leurs paroles étaient parfois empreintes d’un racisme inconscient, produit de leur propre éducation. » Aujourd’hui, elle comprend que ces paroles étaient des micro-agressions qui lui ont appris à détester la couleur de sa peau, micro-agressions que le mouvement Black Lives Matter lui a donné le courage de coucher sur papier.
De l’écriture intime à la lecture publique
Après deux jours d’écriture frénétique, Chokola est né. D’abord poème, ce texte est devenu une pièce de théâtre que la jeune femme a ensuite retravaillée durant un parrainage d’écriture offert par le Centre des auteurs dramatiques (CEAD). En effet, grâce au Prix de l’Égrégore, Phara Thibault a eu droit à neuf heures de marrainage avec l’autrice et actrice Marie-Ève Milot. « Le but de cette collaboration était d’améliorer mon texte afin d’en remettre une version finale en février. Cette collaboration s’est super bien déroulée. Je suis très fière du produit final. »
L’apprentie dramaturge se prépare maintenant à entendre Chokola de la bouche de comédiens professionnels, lors d’une mise en lecture qui se déroulera dans le cadre de l’Intercollégial de théâtre, en avril. « Mes parents y entendront mon texte pour la première fois. J’ai un peu peur de leur réaction, mais je suis certaine qu’ils sauront y percevoir tout l’amour que je leur porte. » Après l’Intercollégial, la pièce sera présentée au Festival du Jamais Lu, en mai. Ensuite, la future comédienne aimerait elle-même l’interpréter sur scène pour que toute personne s’étant un jour sentie différente puisse se reconnaître dans ses propos qu’elle dit à la fois personnels et universels.
De la différence à l’existence
Différente, voilà comment Phara Thibault se sent souvent. Cependant, depuis le mouvement Black Lives Matter et l’écriture de Chokola, sa différence ne rime plus avec solitude ni avec silence. « Je comprends maintenant à quel point nous sommes nombreux à vivre des injustices en raison de la couleur de notre peau. Je comprends aussi avoir le droit, et le devoir, de lutter contre le racisme au quotidien. »
C’est pourquoi la jeune femme ose de plus en plus faire entendre sa voix. « Par exemple, l’autre jour, dans un de mes cours de théâtre, l’enseignante nous faisait répéter le mot commençant par “n” pour pratiquer la diction du son “gr”. J’ai alors demandé s’il était possible de remplacer le mot en question par un autre. Mon enseignante a acquiescé, s’empressant de changer tous les mots qui pouvaient porter préjudice. » Une victoire pour Phara qui se dit parfois épuisée de toujours devoir défendre son existence.
Jointe par téléphone, la directrice du Service des communications et des affaires corporatives du Cégep de Saint-Hyacinthe, Véronique Blain, assure que le collège est extrêmement sensible à ce genre de situations. « Des mécanismes existent déjà pour aider les étudiants qui se sentent victimes de racisme. En ce qui concerne le contenu pédagogique pouvant être jugé offensant, un comité se penchera bientôt sur les directives à venir du ministère de l’Enseignement supérieur. De là naîtra un plan d’action qui permettra à tous et à toutes de mieux vivre ensemble. »
De belles surprises
Outre ses combats quotidiens contre les micro-agressions, Phara Thibault compte défendre son existence en écrivant ses propres rôles, « pour éviter ceux que le milieu théâtral attribue généralement aux actrices noires, soit des rôles d’esclaves, d’infirmières et de prostituées ». D’ailleurs, son texte Chokola prend à peine son envol qu’un autre texte a jailli en elle par surprise. « Les thèmes sont sensiblement les mêmes, mais cette fois-ci, je mets en scène des femmes de minorités visibles qui se sentent exclues du féminisme blanc. »
Autre belle surprise : grâce au Prix de l’Égrégore, Chokola paraîtra aux Éditions Fides. « Pour la première fois, la maison d’édition a décidé de commercialiser le texte gagnant et de le vendre dans les librairies. »
Décidément, quelque chose de beau et de bon se passe dans la vie de Phara Thibault. Aussi bon que du chocolat !
Bravo
Félicitations
J’ai hâte de voir et entendre tes œuvres