Anne-Marie Aubin
Récolter la tempête : grand questionnement existentiel de l’adolescence
Benoît Côté, jeune auteur maskoutain, est docteur en musique. Il a publié l’essai Propositions de clarté, finaliste aux Prix littéraires du Gouverneur général en 2017. Riche de cette reconnaissance du milieu littéraire, il signe un premier roman, Récolter la tempête, qui raconte l’adolescence de Samuel, un jeune rebelle qui découvre la philosophie, la littérature et qui rêve d’un monde meilleur.
Roman initiatique philosophique
« Le cerf-volant coloré et joyeux de notre enfance venait d’aboutir dans ce grisailleux terrain vague. » Quitter avec difficulté l’adolescence pour le monde adulte, chercher le sens de sa vie, découvrir la sexualité, les filles, le monde du travail… autant de sujets maintes fois abordés en littérature. Toutefois, ce roman se distingue par son style très près de la langue orale et par sa couleur locale : tout est inscrit dans le temps et dans l’espace, mais, surtout, ce roman propose un riche intertexte. En effet, il regorge d’allusions littéraires et philosophiques à Kierkegaard, Wittgenstein, Sartre, Platon, Dostoïevski et plusieurs autres. « Le monde est la totalité des faits », comme le dit justement Wittgenstein.
Le jeune Samuel s’abreuve de nombreux livres qu’il trouve dans les boîtes abandonnées dans la maison de son oncle Gabriel, suicidé. En découvrant ses lectures, en portant ses vêtements, ce jeune lecteur nostalgique des années 70 idéalise son oncle et cherche à lui ressembler.
La région de Saint-Hyacinthe comme décor
Benoît Côté plante un décor très réaliste de la région à la fin des années 1990. Il éprouve un plaisir évident à dépeindre les classes sociales des différents quartiers, les commerces, les écoles et les villages avoisinants : « On arriva à maison d’sa tante pis c’est toutte vieux, a’ec des vieux meub’antiques, pis sa tante a’vécu, genre en France ou j’te crisse pas où […] tout le monde vire fou quand la tante dit “m’as sortir le foie gras pis le sauternes.” » Comme on peut le voir, l’oralité chez Benoît Côté est pleinement assumée et décomplexée.
Samuel s’ennuie mortellement dans ce petit monde maskoutain, entre ville et campagne, où la culture occupe trop peu de place. Il se sent différent de ses amis, marginal dans sa quête d’identité et critique tout autour de lui : « À la lumière de mes dernières lectures, je me disais que, si Jésus revenait sur terre et voyait l’édifice obscène érigé en son nom, il regretterait d’avoir existé ou, à tout le moins, d’avoir quitté la shop de bois à son père. »
Sans toutefois s’inscrire dans une démarche d’autofiction, ce texte est vraisemblablement très inspiré des souvenirs personnels de l’auteur. Samuel, le héros narrateur, tient parfois les propos d’un ado de 15 ans et, à d’autres moments, il réfléchit comme un adulte d’aujourd’hui.
Une époque, une jeunesse
Né d’un père américain et d’une mère québécoise, Samuel a des opinions politiques : « La politique québécoise, telle que je la comprenais […], était une suite d’échecs chaque fois dédramatisés par de grands mononc’ satisfaits, entre les mains de ce qui se figeait le statu quo. »
La fin des années 90, c’est l’aube du nouveau millénaire, l’arrivée d’Internet dans les foyers, l’échec référendaire de 1995 et la tempête de verglas de 1998, point culminant du roman. À travers le regard très critique de Samuel, l’auteur présente avec beaucoup d’humour cette période marquante de notre histoire collective : la fin d’un millénaire.
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Benoît Côté. Récolter la tempête, Éditions Triptyque, Montréal, 2018, 335 p.
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