
Anne-Marie Aubin
Marie-Aude Murail semblait bien avoir terminé sa série romanesque avec la quatrième saison de Sauveur & fils il y a deux ans, révélant ses sources et clôturant ainsi la saga du psychologue Sauveur Saint-Yves. Mais voilà qu’elle nous offre une cinquième saison savoureuse comme une surprise, comme un cadeau : « Cette saison 5 est dédiée à Arthur Cailleau ainsi qu’à celles et ceux qui m’ont demandé d’écrire une saison 5. Aussi, elle ajoute : « Mais elle n’est pas dédiée à celles ou ceux qui déversent leur haine et leur hargne sur Internet. » Voilà, le message est clair et rejoint un article qu’elle signait dans Libération il y a quelques jours comme quoi les indignations dans le monde de l’édition entraînent une censure qui « pourrait mener jusqu’à l’impossibilité même de la fiction. »
Deux ans plus tard
« Les hommes ne savent plus qui ils sont »
Côté bureau, nous retrouvons certains de ses patients et de nouveaux surgissent, témoignant des maux de notre société. Samuel, adolescent attachant, est influencé par un étudiant plus âgé et se fait entraîner dans un cours de drague : « Ce sont les valeurs féminines qui l’emportent partout […] Ce sont les femmes qui ont le vrai pouvoir parce que ce sont les valeurs féminines qui ont triomphé. Et les hommes sont complètement castrés, ils ne savent plus ce que c’est que d’être un mec. […] Sauveur cherchait ce qui avait pu mettre Samuel, le romantique Samuel, le tendre Samuel, dans un état pareil. »
Avec humanisme et empathie, l’auteure raconte le suivi des patients au fil des semaines. Blandine souffre d’une addiction au sucre, d’où son hyperactivité. Maxime va à la maternelle, accompagné d’un auxiliaire de vie sociale. Tout semble bon pour soulager son mal-être : adopter un animal de soutien émotionnel, vivre la transcommunication hypnotique, changer de sexe… Ella devient Elliot : « Je souffre parce que les autres ne m’acceptent pas comme je suis. Ma mère me mégenre exprès dix fois par jour. Ma sœur ne veut plus me parler. On me cache du reste de la famille. »
« Est-ce qu’iel est heureux.se? »
Le psychologue, humain et ouvert d’esprit, en perd parfois ses repères : « Sauveur plongea dans le gouffre d’Internet comme il ne l’avait encore jamais fait. Tout d’abord, il voulut clarifier pour lui-même quelques définitions. Différence entre transsexualité et intersexualité? Genre et identité? Et transgenre? Au bout de dix minutes, il mélangeait de nouveau les définitions. » (À ce sujet, un lexique et un petit schéma de la personne Gingenre se trouvent annexés au roman.)
Les réseaux sociaux et instagram
Louise, la compagne de Sauveur, vient de publier un livre intitulé La puberté ce n’est pas une maladie, un documentaire destiné aux jeunes. Elle reçoit des courriels haineux, subit la hargne des internautes et une pétition circule afin de retirer son livre des librairies! Heureusement, son éditrice la réconforte et
l’encourage : « Laisse tomber, Louise! Efface ces messages. On a eu des super retours de youtubeuses de 14-15 ans qui ont lu ton livre. Elles, elles ont bien rigolé. Tourne la page et écris-moi la suite, tu sais, ce documentaire sur les ados et les réseaux sociaux. Ce sera la meilleure des réponses. »
Marie-Aude Murail, via ses personnages, insiste sur l’importance pour les auteures et auteurs de revendiquer leur liberté d’expression et de dénoncer les gens qui se permettent de démolir des œuvres à la moindre divergence d’opinion.
Le roman se termine sur une fin ouverte : tout n’est pas dit dans cette 5e saison, et une 6e est sans doute en route pour notre plus grand plaisir!
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