Collaboration Spéciale
Prêcher dans le désert
Le mouvement écologiste, tel un pasteur sans brebis, ne semble pas avoir réussi, après 50 ans de lutte, à secouer les colonnes du temple du capitalisme. Sacrifiée sur l’autel de l’économie, la crise climatique tire des larmes à quelques pleureuses, mais très peu à nos élus lorsque vient le temps de prendre des décisions pour notre bien commun.
Le groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) nous offrait le 20 mars dernier un 6e rapport apocalyptique sur l’état de la planète. Le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, a usé de métaphores et de références cinématographiques pour nous faire comprendre qu’à moins de s’y mettre immédiatement et à fond, seul un miracle pourra nous sauver : « L’humanité est sur une fine couche de glace, et celle-ci fond à vue d’œil. Notre monde a besoin d’actions sur tous les fronts pour contrer les changements — tout partout tout à la fois ».
Pendant qu’une génération de jeunes fait des crises d’écoanxiété et que d’autres se flagellent d’avoir acheté des fraises du Mexique emballées dans du plastique, les grands pollueurs ne s’embarrassent pas du poids de leur responsabilité. Nos gouvernements sont frileux à imposer des limites aux grosses industries comme la Fonderie Horne ou l’aluminerie d’Alcan alors qu’elles menacent l’air et l’eau des citoyens. N’êtes-vous pas tannés de porter le fardeau environnemental — la croix des temps modernes — alors qu’individuellement, nous n’avons pas ce qu’il faut pour changer les choses en profondeur et durablement ?
Vous allez dire que celui qui n’a jamais pollué jette la première pierre. Nous sommes tous pêcheurs, certes, mais nos élus doivent devenir des moteurs de changement. Il est épuisant d’avoir à les rappeler à l’ordre à chaque fois que l’économie prend le dessus sur l’environnement. On connait la chanson : un groupe de citoyens se forme, prend son bâton de pèlerin et entame la traversée du désert à grand renfort de petit pas.
Il appert que notre jeune espèce (à peine 300 000 ans) ne semble pas particulièrement douée dans la prédiction des évènements. Et pourtant, c’est à travers nos faiblesses que se trouve la clé de notre réussite. En effet, Homo sapiens est le roi de la crédulité. Nous sommes bons pour croire à nos histoires et nous coordonner et c’est exactement ce dont a besoin notre espèce et notre planète en ce moment. Reste à « croire » les bons prêcheurs et à ne pas succomber aux appels des sirènes de la paresse, du statu quo, du confort et de l’indifférence.
On sait maintenant que la solution pour combattre les changements climatiques réside dans la sauvegarde de la biodiversité. On présageait ce lien depuis longtemps, mais la science vient tout juste de le confirmer. Le rétablissement ou la protection des populations de quelques espèces nous permettrait d’atteindre 95 % des cibles fixées par l’Accord de Paris. Arrêtons d’attendre le Messie et mettons-nous à l’ouvrage ! La tâche est simple : conserver les milieux naturels « tout partout tout à la fois ! »
Localement, ça veut dire augmenter l’indice de canopée, faire tout ce qu’il faut pour conserver les boisés et les milieux humides de notre région, réduire l’érosion des berges, constituer des bandes riveraines dignes de ce nom et aider les organismes qui œuvrent dans ces domaines.
Au niveau national, ça veut dire l’entrée en vigueur d’un registre public comme le prévoit depuis 2018 la réforme de la Loi sur la qualité de l’environnement (LQE). L’accès à l’information est essentiel si on veut permettre aux citoyens de faire respecter, comme le prévoit la LQE, leur droit à un environnement sain.
En cette 54e Journée de la Terre, donnons-nous le courage de nos ambitions pour la planète. Le jugement dernier pourrait être plus pénible et prématuré si nous continuons à élire des gens qui ne croient pas que la fin du monde telle qu’on l’a connu est venue. L’expulsion des marchands du Temple est devenue nécessaire et souhaitable.
Marie-Claude Pearson et Marc Dufour
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