Paul-Henri Frenière
Bricoleuse sans frontières
À première vue, on pourrait croire que Karine Giboulo s'amuse à modeler des personnages et des animaux qu'elle met en scène dans divers décors exotiques. Mais en s'attardant devant ses installations, on se rend compte que c'est plutôt un regard critique sur le monde qu'elle nous présente. Telle une reporter sans frontières qui bricole ses reportages en 3D.
On peut voir actuellement une dizaine de ses installations à Expression, le centre d'exposition de Saint-Hyacinthe. Celle qui occupe le plus d'espace, Village Démocratie, représente un bidonville de Port-au-Prince qu'elle a visité peu avant le terrible tremblement de terre de 2010. Elle en a rapporté plusieurs photos, des morceaux de tôle, et surtout un immense désir de témoigner, par son art, des réalités qui l'ont troublée.
Dans un premier temps, on y voit des personnages – souvent des femmes et des enfants – qui vivent dans un environnement marqué par l'extrême pauvreté. L'artiste a reconstitué avec une grande minutie une scène de village avec des maisons de fortune (faites en partie avec la tôle qu'elle a rapportée), des animaux et quantité de détritus.
Plus loin dans l'installation, un immeuble constitué de miroirs (qui nous renvoient notre propre image) sur lequel défilent les cotes de la bourse. Ce cheminement nous amène par la suite vers une espèce de resort où des marmottes obèses se la coulent douce autour d'une piscine puis se goinfrent à une table bien garnie.
Karine Giboulo hésite à affirmer que son travail est une critique sociale, mais son œuvre parle d'elle-même. Les ravages du capitalisme débridé, l'exploitation des humains, la surconsommation, les injustices font presque toujours partie du message suggéré. Avec son médium qui s'apparente à première vue aux jouets de l'enfance, l'artiste dénonce crûment les aberrations de la société.
Telle une journaliste d'enquête
En plus d'être allée à Haïti, la bricoleuse sans frontières a également visité l'Inde, l'Afrique et la Chine. Elle a même utilisé les techniques du journalisme d'enquête pour ouvrir des portes closes. C'est ainsi qu'elle s'est improvisée femme d'affaires pour visiter les usines de Shenzhen, en Chine, où les ouvriers ne font pas que travailler; mais y mangent et y dorment. En fait, ils sont confinés 24 heures sur 24 et sept jours par semaine dans ces boîtes de production massive.
L'oeuvre qu'elle en a tirée, All You Can Eat, représente une manufacture qui traduit cette réalité. Mais Karine Giboulo donne libre cours, encore une fois, à son imaginaire foisonnant. Le premier stade de la chaîne de production est un gavage de « cochons ailés » et le produit fini : des côtes levées et des ailes de cochons volants.
Devant l’intrigant bâtiment, le spectateur scrute à travers les fenêtres pour y découvrir une série de salles et de scènes où l’on peut voir les employés au travail, mais aussi qui mangent à la cafétéria ou se reposent dans leurs dortoirs. À noter que cette œuvre fait partie de la collection du Musée des beaux-arts de Montréal.
Quelques-unes de ses installations font d'ailleurs parties de prestigieuses collections dont celles du McMichael Canadian Art Collection de l'Ontario et du 21C Museum aux États-Unis. La jeune femme a participé à de nombreuses expositions individuelles ou collectives au Canada et aux États-Unis. En 2009, on lui décerne le second prix dans le cadre du concours de la foire internationale Pulse New York.
À l'automne 2014, une publication lui sera consacrée et elle sera coéditée par le McMichael Canadian Art Collection et Expression, Centre d'exposition de Saint-Hyacinthe. On y retrouvera des textes de la commissaire Danielle Lord et de Sharona Adamowicz-Clements.
Karine Giboulo
Réalité / Utopie
Commissaire : Danielle Lord
Jusqu'au 26 octobre 2014
Visite commentée et vernissage :
samedi 13 septembre, 14 heures
EXPRESSION, Centre d'exposition de Saint-Hyacinthe
495, avenue Saint-Simon
Saint-Hyacinthe (Québec)
Téléphone : 450.773.4209
www.expression.qc.ca
expression@expression.qc.ca
Heures d'ouverture:
Lundi Fermé
Mardi au vendredi 10 h – 17 h
Samedi et dimanche 13 h – 17 h
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