Marijo Demers et François-Olivier Chené
Les autres possibles : Relation avec les Autochtones, pour que le Québec soit un autre possible
Le 2 octobre 2019, le Premier ministre François Legault présentait des excuses officielles aux peuples autochtones du Québec en ces termes : « Ces excuses sont nécessaires, c’est très important, mais ce n’est pas suffisant. […] On peut et on doit améliorer nos relations et réunir les conditions qui permettront aux communautés autochtones et aux Inuits du Québec de s’épanouir ».
Moins d’une semaine plus tard, l’Assemblée nationale adoptait une motion pour reconnaître les principes de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones (DDPA). Fin janvier, il y a eu une rencontre importante entre les chefs autochtones et la ministre responsable du dossier, Sylvie d’Amours, puis au printemps, ce sera au tour de François Legault de s’asseoir avec les représentants des nations autochtones. Que s’est-il passé depuis l’automne pour qu’on braque les projecteurs sur la question autochtone au Québec plusieurs mois d’affilée?
Le dépôt du rapport Viens. Deux ans de travaux, 765 personnes entendues et 142 appels à l’action formulés dans le rapport final de la Commission d’enquête sur les relations entre les Autochtones et certains services publics au Québec : écoute, réconciliation et progrès. Sans surprise, le rapport est accablant et souligne la discrimination systémique vécue par les Autochtones dans leurs relations avec l’État québécois. Comment faire pour prévenir et éliminer l’iniquité et la discrimination récurrentes lors de la prestation de services publics? Le commissaire Jacques Viens et son équipe déclinent 142 possibles pour sortir des ornières.
En présentant des excuses officielles, François Legault s’est empressé de répondre à la toute première de ces 142 recommandations. Mais comme c’est malheureusement souvent le cas, c’est au moment de passer aux actions concrètes que les choses sont plus difficiles.
Vers une véritable reconnaissance des peuples autochtones
Les recommandations 2 et 3 du rapport Viens demandent à l’État québécois d’adopter et de mettre en œuvre le DDPA. Parmi les engagements que font les États qui adhèrent à cette déclaration, on retrouve celle de donner une réelle autonomie aux peuples autochtones. À ce sujet, la Commission Viens constate que les nations autochtones du Québec qui ont obtenu une certaine autonomie s’en tirent mieux que les autres, « à tout le moins sur le plan socioéconomique ». Cela dit, cette autonomie, parfois chèrement acquise, est d’abord et avant tout symbolique et le Commissaire Viens estime que cette autonomie devrait aller plus loin et inclure de réels pouvoirs pour les communautés autochtones. Le gouvernement du Québec ne semble toutefois pas du tout le voir de cet œil.
M. Legault a déclaré que même s’il adhère aux principes de la DDPA, il n’est pas prêt à en assumer certaines implications juridiques, craignant pour l’indivisibilité du Québec. Le gouvernement a aussi contesté la constitutionnalité d’une loi fédérale qui donne des droits aux autochtones en matière de services à l’enfant et à la famille. Ainsi, au moment de passer des excuses aux actes, le gouvernement se montre déjà plus frileux. Le rapport Viens subira-t-il donc le sort de tant d’autres rapports qui ont fini tablettés, à s’empoussiérer? C’est ce que le Commissaire Viens veut éviter.
Le Protecteur du citoyen comme chien de garde
Le rapport Viens inclut un mécanisme de suivi novateur en ce qui a trait aux relations entre les Autochtones et l’État québécois. Pour s’assurer de la mise en branle et de la poursuite de la centaine de recommandations proposées, le commissaire Viens propose de confier le suivi de son bébé au Protecteur du citoyen, en le dotant d’un budget ajusté en fonction des nouvelles responsabilités confiées. Une fois par année, le Protecteur du citoyen devrait produire un état d’avancement quant au déploiement des recommandations du rapport. Plus difficile alors – comme Nations autochtones – d’être reléguées au second plan, dans l’angle mort, dans l’incurie de l’État avec ce type de mécanisme politique de reddition de comptes. Le recours à la figure institutionnelle du Protecteur du citoyen est logique, puisque la conclusion majeure du rapport se fonde sur la discrimination systémique. Qui de mieux comme chien de garde institutionnel, impartial et indépendant pour veiller au grain?
Ce mécanisme de chien de garde lié aux enjeux de prestation de services publics envers les communautés autochtones du Québec pourrait prévenir et détecter peut-être plus efficacement et rapidement des cas comme celui du service de police de Val d’Or. Rappelons que la Commission Viens a été créée dans la foulée du reportage-choc de l’émission Enquête, présentant des témoignages de femmes autochtones se disant victimes d’abus et d’agressions sexuelles qui auraient été perpétrés par six policiers de la Sûreté du Québec, non accusés criminellement par la suite, faute de preuves solides.
Les 138 recommandations dont nous n’avons pas parlé traitent pour la plupart de sujets très concrets, touchant notamment les services de santé, de police, de justice et de la protection de la jeunesse. Nous nous sommes concentrés dans cette chronique sur des recommandations qui encadrent les autres et dont la réalisation ferait en sorte que le Québec deviendrait, en matière de relations avec ses peuples autochtones, un autre possible dont d’autres nations pourraient s’inspirer.
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