Chronique

Les livres à colorier pour adultes : art-thérapie ou non ?

J’ai bien envie d’arrêter cette chronique par ma réponse courte et simple à cette question : non. Mais il faut quand même bien que je vous explique le pourquoi du comment, car l’art-thérapie, c’est ma profession après tout. Je suis donc bien placée pour la défendre. Parce que je suis art-thérapeute, je ne préconise pas les réponses fermées, bien au contraire. La richesse du champ unique de la thérapie par l’art réside justement dans la pluralité et le déploiement des symboliques personnelles propres à chacun et chacune. Je vous invite donc chez nous, dans mon monde d’art‑thérapeute, le temps de ma chronique mensuelle qui prend « les couleurs » de l’art‑thérapie, afin de faire la distinction entre la profession et les livres à colorier pour adultes.

L’art-thérapie, ici au Québec, est une discipline enseignée au niveau de la maîtrise, soit à l’UQAT ou à l’Université Concordia. Pour y avoir accès, il faut avoir décroché un diplôme de premier cycle universitaire en psychologie, en travail social ou dans un autre domaine des sciences humaines, en plus d’avoir suivi des cours en arts et en enseignement des arts plastiques. La formation se poursuit à la maîtrise de façon à apprendre à intervenir dans un cadre individuel et en groupe, et ce, auprès de populations variées : femmes victimes de violence conjugale, adultes présentant des problèmes de santé mentale, adultes affectés par un syndrome de stress post‑traumatique. Oui, nous pouvons également intervenir en art‑thérapie auprès d’enfants ou de populations ayant des problèmes de communication verbale, mais ce n’est pas nécessairement la finalité de la discipline, comme le laissent parfois croire certains stéréotypes qui circulent trop souvent autour de la profession. Comme c’est le cas en psychologie et en travail social, les divers art-thérapeutes exercent dans des optiques professionnelles qui leur sont propres et possèdent le savoir et les outils associés à leur spécialisation. Certains et certaines art-thérapeutes font de la psychothérapie par l’art, d’autres de l’art‑thérapie dans des milieux forts différents et en regard desquels ils et elles se sont spécialisés.

Vous comprendrez que ma réaction spontanée devant les livres à colorier pour adultes identifiés clairement en couverture comme relevant de l’art-thérapie a été plutôt… colorée! Comme si on trouvait de tels bouquins arborant la mention « travail social » ou « ergothérapie », dans lesquels on trouverait des exercices sans lien avec la discipline indiquée, et dont le contenu n’a pas été produit par des professionnels de la discipline en question. Après avoir décoléré durant une semaine, je peux maintenant dire avec plus de calme que bien sûr, colorier des mandalas ou l’un ou l’autre des dessins proposés dans ces livres aide sans nul doute certaines personnes à se détendre. C’est en effet une forme active de méditation : une des prémisses à l’art-thérapie veut que l’utilisation des couleurs et l’élan du corps absorbé dans une activité créative permettent de s’ancrer dans le moment présent et de relaxer. Les mandalas, terme sanskrit signifiant cercle, sont issus des traditions bouddhique et brahmanique. Gustav Jung affectionnait particulièrement ses dessins aux motifs géométriques empreints de magie, et il les a beaucoup étudiés dans le cadre de sa pratique psychanalytique. Les mandalas aident depuis longtemps leurs adeptes à se recentrer et à exprimer ce qui est présent ici et maintenant pour chacun et chacune. Le mandala est par conséquent un outil que nous utilisons en art‑thérapie. Nous n’appelons pas ça de l’art-thérapie pour autant. Un outil n’englobe pas la totalité de la discipline qui en fait usage.

Le même raisonnement s’applique aux livres à colorier pour adultes! Ils procurent sans conteste aux personnes qui les utilisent un moment de détente, et ils peuvent contribuer à abaisser le niveau de stress. C’est d’ailleurs un des effets inhérents à toute forme d’art. Cette dimension ne résume pas l’art‑thérapie : l’art est bénéfique en soi, ce qui explique qu’on s’en soit saisi pour approfondir son utilisation à des fins thérapeutiques. Nous mettons ainsi les médias artistiques (peinture, argile, collage, crayons à colorier, etc.) au service de l’expression des personnes qui sont en suivi en art‑thérapie (dans un contexte individuel comme en groupe). Au départ, il faut connaître l’impact psychologique des médias artistiques pour aider une personne à exprimer son ressenti et son besoin du moment : A-t-elle besoin d’ancrage? (argile) A‑t‑elle besoin de se recentrer? (mandala) A-t-elle au contraire besoin de lâcher prise et d’explorer ses ressentis et les sentiments flous qui l’habitent? (peinture à doigt).

L’art-thérapeute met ses connaissances à profit pour faciliter le processus thérapeutique de la personne et l’aider à atteindre ses objectifs. Nous ne sommes pas des spécialistes du contenu des dessins ou des œuvres, mais des experts en processus créatif et thérapeutique. Nous n’interprétons pas les œuvres, nous accompagnons la personne dans l’appropriation de ses symboles personnels et de l’impact ressenti dans son corps à travers l’utilisation d’un média artistique, dans l’expression de ses émotions, en l’aidant à saisir les liens rationnels qu’elle peut alors établir. C’est, à toutes fins utiles, donner aux personnes les moyens de faire le chemin de leur inconscient à la conscience, par le travail des rêves notamment, afin qu’elles puissent intégrer à leur vie des solutions concrètes à divers problèmes, faire des prises de conscience propices à de grands changements dans leur vie sur les plans émotionnel, mental et physique.

Où en étais-je? Ah oui! Les livres à colorier pour adultes constituent-ils de l’art‑thérapie ou non? Je réponds bien sûr encore non. J’espère toutefois qu’après m’avoir lue, vous constatez comme moi qu’ils révèlent cependant chez bien des gens une grande envie de se tourner vers l’art dans l’espoir de se sentir mieux et plus en paix. Si ces personnes souhaitent vraiment savoir en quoi consiste l’art-thérapie et découvrir ses bienfaits uniques, elles peuvent le faire en allant sur le site de l’association des art-thérapeutes du Québec ou encore en s’inscrivant aux ateliers de découvertes donnés pendant la semaine des thérapies par l’art, qui se déroulera très bientôt, du 14 au 21 mars 2015. Des activités sont prévues à Montréal et un peu partout au Québec. http://www.aatq.org/