Anne-Marie Aubin
L’Allume-cigarette de la Chrysler noire : autobiographie de Serge Bouchard
Il y a pas mal d’années, c’est en voiture, à la radio, que j’ai découvert Serge Bouchard. J’ai d’abord été attirée par sa voix qui racontait les lieux communs en compagnie de Bernard Arcand, avant d’aller lire leurs recueils de textes sur le grille-pain, le gazon, le baseball et autres lieux communs. Puis, ont suivi les émissions : Les chemins de travers, De remarquables oubliés, Récit et, plus récemment, C’est fou… Que ce soit sur la route ou chez moi, j’aime écouter ce conteur anthropologue, philosophe et poète qui narre avec passion des textes brefs, bien écrits, instructifs, pertinents, qui ne laissent personne indifférent.
L’Allume-cigarette de la Chrysler noire réunit 65 textes rédigés et lus dans le cadre de l’émission C’est fou… Sur un ton intimiste et nostalgique, Serge Bouchard ouvre son album de souvenirs, de l’enfance à aujourd’hui, à la manière d’une autobiographie.
Tout part de l’enfance
L’auteur a grandi à Pointe-aux-Trembles dans une famille unie et heureuse. « Ma jeunesse dans la banlieue, c’est le bruit d’une tondeuse en été […] L’hiver, nous pelletions les entrées de garage et les trottoirs privés. » Il raconte avec émotion les arbres, le ciel, le fleuve, les amitiés, les études, les parcours en autobus jusqu’à l’école secondaire. Parmi ses souvenirs surgit Henri. « Mon petit chien de paille s’appelait Henri, c’était mon confident, mon ami, il veillait sur moi, dans mon lit. »
Cet enfant, qui dispose de beaucoup de temps, carbure à l’imaginaire, ce qui lui servira toute sa vie. « Lorsque nous essayons de reconstituer notre passé, nous n’avons pas prononcé trois phrases que nous commençons à fabuler […] Si la mémoire nous fait défaut, la nostalgie, elle, est tout ce qu’il nous reste […] elle nous renvoie les émotions floues d’un état essentiel qui n’est plus, mais qui a été. C’est l’agréable méditation qui fait revivre des atmosphères, des moments heureux, de ces bonheurs tranquilles et innocents dont personne n’a conscience sur le moment, mais qui reviennent à la surface sans qu’on sache trop comment, causant une larme, un regard attendri, un soupir. C’est plus fort que nous. »
Une conscience sociale aiguë
Son père, chauffeur de belles voitures qui ne craint pas les kilomètres, éveille sans doute chez lui sa passion pour les véhicules, la route, le voyage. De sa mère féministe qui rage devant l’injustice faite aux femmes, Serge Bouchard hérite de cette rage contre l’injustice, le mensonge, l’ordre établi, et ce, depuis les bancs d’école… « Mes poings ne se sont jamais desserrés : je regarde encore la société comme un projet, comme un chantier. Nous avons toutes les occasions de nourrir notre colère devant la lenteur des travaux. L’injustice, la haine, le racisme, la terreur, le mensonge, le mépris, l’oubli, le mauvais sort, l’absurde sont autant de réalités qui habitent sournoisement notre humanité. »
L’œuvre d’une vie
L’auteur dresse le bilan de ses passions, « ses drogues ». Il y a eu d’abord la lecture, pour découvrir et apprendre, puis la route : « une longue prière, une parenthèse […] Je bénis le ciel de m’avoir donné cette naïveté, cette constance dans l’émerveillement. Pendant des millions de kilomètres, je n’ai jamais été blasé. J’aurai aimé les épinettes de la première jusqu’à la dernière. »
Tout cet émerveillement ne peut se faire dans le bruit et le tumulte. Il faut l’espace, le silence et la lenteur. Il faut aussi la patience et la constance de l’auteur qui écrit « chaque jour depuis plus de trente ans », car il sait que le rendez-vous avec l’inspiration n’existe pas. Bref, voilà un recueil rempli de sagesse et ouvert sur l’avenir !
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BOUCHARD, Serge. L’Allume-cigarette de la Chrysler noire. Montréal, Les éditions du Boréal, 2019, 248 p., Collection papiers collés.
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