Politique

Économie 101 : qu’est-ce que l’écart salarial ?

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PIB, externalités, inflation… Le discours économique est rempli de termes qui sont rarement définis. Leur utilisation répétée ne veut pas dire qu’ils sont maîtrisés pour autant. Au contraire, on a parfois l’impression qu’ils sont employés afin d’exclure les non-initiés de débats de société importants. Afin de mieux s’outiller dans de telles situations. En lien avec le 8 mars, Journée internationale des droits des femmes, nous répondons à la question : qu’est-ce que l’écart salarial ?

Définition classique

Lorsque l’on compare les revenus des hommes et des femmes, on constate d’importants écarts. Ces écarts sont observables autant pour le revenu total, le salaire moyen ou le salaire horaire. Selon les chiffres de l’OCDE (l’Organisation de Coopération et de Développement économiques), le salaire médian des femmes qui travaillent à temps plein est 18,5 % inférieur à celui des hommes dans la même situation au Canada. On peut se consoler en se disant que c’est un peu moins qu’aux États-Unis (18,9 %) et beaucoup moins qu’en Corée du Sud (34,1 %). Toutefois, le Canada arrive 5e sur les 28 pays recensés, avec des écarts bien plus élevés que la moyenne des pays de l’OCDE (13,4 %) et ridiculement plus élevés qu’en Belgique (3,4 %).

Cela dit, la situation s’améliore tout de même. L’écart s’est sensiblement réduit depuis que nous recensons les données sur les revenus au Canada. Si on compare les revenus totaux de l’ensemble des hommes et des femmes au Québec, l’écart était de 52,9 % en 1976. Plus de 40 ans plus tard, en 2018, l’écart n’était plus que de 30,3 %.

Cet écart s’explique par plusieurs éléments. D’abord, les femmes travaillent en général moins d’heures que les hommes. Elles sont d’ailleurs surreprésentées dans les emplois à temps partiel. Si on compense ce facteur, par exemple, en comparant les taux horaires moyens des hommes et des femmes, l’écart se réduit à seulement 10,2 %. D’autres facteurs expliquent le fossé entre les sexes. Parmi les éléments souvent évoqués se trouvent le type d’industrie, le niveau d’étude, la durée de l’emploi et le niveau de syndicalisation.

Bref, on pourrait croire que les aspects sexistes de l’écart salarial se sont évaporés avec le temps et que la différence qui reste est d’abord une question de choix et de préférence.

Angles morts

Ce serait si simple. Toutefois, plusieurs éléments posent problème avec cette façon de voir les choses.

Commençons par parler de la ségrégation professionnelle. Si la participation des femmes au marché du travail a augmenté durant les dernières décennies, celles-ci se trouvent en plus grande proportion dans certains secteurs comme l’éducation, les soins de santé et les services sociaux. On réfère souvent à ce type d’emploi comme faisant partie du care ou du soin. Ces domaines sont généralement moins bien rémunérés que les emplois avec une forte concentration d’hommes comme dans les branches de la construction ou de l’extraction des ressources naturelles. Est-ce parce que le domaine des soins et de l’assistance est moins important que celui de la production ? Ou est-ce plutôt parce que la société a longtemps tenu pour acquis que ce travail n’avait pas à être compensé financièrement ? On peut faire un lien ici avec les tâches domestiques et la charge mentale qui sont encore le lot des femmes. Ce travail invisible est pourtant nécessaire pour faire fonctionner la maison, la cellule familiale et la société. Il est malheureusement trop souvent tenu pour acquis, peu reconnu et mal compensé.

Par ailleurs, le temps que consacrent les femmes aux soins des enfants est un temps qu’elles n’ont pas pour travailler dans un emploi salarié. Au Québec, nous avons la chance d’avoir un congé parental qui peut être partagé entre les deux parents. Cependant, ce sont encore les femmes qui prennent la majorité, voire la totalité, de ce congé, et qui réduisent ensuite leur temps de travail afin de rendre la conciliation vie de famille et travail possible. On considère en ce sens qu’il existe une véritable pénalité à la maternité avec laquelle les jeunes pères n’ont pas à composer.

Ainsi, il ne suffit pas de prendre en considération le temps de travail moins long des femmes ou leur présence plus grande dans des emplois à temps partiel. Il faut également se demander ce qui explique ces choix et dans quelle mesure ils correspondent réellement à leurs désirs. Autrement dit, si les tâches domestiques et familiales étaient réellement équilibrées entre les hommes et les femmes, choisiraient-elles autant de travailler à temps partiel ou selon des horaires allégés ?

Et si on utilisait plutôt…

Comme nous venons de le voir, l’écart salarial entre les hommes et les femmes n’est pas un indicateur parfait. Toutefois, il demeure un concept utile afin de montrer que subsiste une forme de sexisme systémique sur le marché du travail. Il permet en outre d’apprécier le chemin parcouru et la distance qu’il reste à franchir pour atteindre une plus grande égalité.

Cela dit, il ne faut pas s’arrêter à l’écart entre les hommes et les femmes puisqu’il ne s’agit pas de la seule discrimination qui s’exerce sur le marché du travail. On peut penser, par exemple, à l’écart de revenu entre les minorités visibles et la population blanche, qui est de plus de 40 %. La situation est encore pire pour les femmes de ces communautés, bien que les hommes soient tout près derrière. En bref, il n’y a pas que le sexisme qui est systémique : le racisme l’est tout autant.

Il reste beaucoup de chemin à parcourir avant d’atteindre l’égalité salariale. Les chiffres nous donnent des indicateurs intéressants qui permettent d’entamer une conversation, mais celle-ci ne sera engageante et productive que si on la recadre plus largement dans les dynamiques sociales qui nous poussent vers des « choix » sur lesquels on a, dans les faits, peu de pouvoir.

 

Eve-Lyne Couturier

Institut de Recherche et d’Informations Socioéconomiques