Politique

La protection de notre patrimoine bâti : au-delà des sursis et du pic des démolisseurs

L’apparition d’une affiche devant le 3150 Girouard Ouest à Saint-Hyacinthe, portant la mention avis de démolition, a fait réagir. PHOTO : Nelson Dion

Il y a quelques semaines, l’apparition d’une affiche devant le 3150 Girouard Ouest à Saint-Hyacinthe, portant la mention avis de démolition, a fait réagir. Sur les réseaux sociaux, nombreux sont les Maskoutains qui se sont montrés attachés à la Maison Nichols, visiblement attristés de sa démolition possible.

Bon nombre de personnes ont souligné la vocation première du lieu –  un endroit habitable – en plus de défendre sa valeur historique et patrimoniale. Bien que n’étant plus propriétaires de la demeure, des membres de la famille Nichols se sont déplacés lors de la tenue de la séance du comité de démolition pour plaider la sauvegarde de la maison. Présentement, le sort de la maison est incertain, la ville ayant repoussé, pour l’instant, le pic des démolisseurs. Au Québec, le patrimoine bâti semble avoir une perpétuelle épée de Damoclès au-dessus de sa conservation et de sa mise en valeur. Pourrait-on agir en amont et éviter le cycle des actions de sauvetage in extremis ou du trop peu trop tard, soit des démolitions devenues « inévitables »?

Un outil à la disposition de toutes les municipalités : la citation d’un bien patrimonial

Depuis plus de 35 ans, les municipalités québécoises disposent d’un formidable outil : la Loi sur les biens culturels. Cette loi inclut la protection du patrimoine immobilier. En clair, si une municipalité veut protéger son patrimoine bâti, elle en a tout à fait le pouvoir : elle peut « citer tout ou partie d’un monument historique situé dans son territoire et dont la conservation présente un intérêt public ». C’est ce qu’on appelle la citation d’un bien patrimonial, qui peut être un immeuble. Celle-ci confère un statut légal au lieu et la ville reconnaît formellement sa valeur patrimoniale. Elle s’assure de sa protection sans nécessairement en devenir propriétaire.

Ce pouvoir municipal est particulièrement utile dans le cas de biens qui ont une valeur patrimoniale d’un point de vue local ou régional, mais qui ne seront jamais classés bien d’intérêt national. Cela pourrait peut-être être le cas de la Maison Nichols. De plus, une ville qui s’engage dans le processus du classement d’un bien immobilier dit d’intérêt national auprès du ministère de la Culture doit s’armer de patience; on parle souvent de plusieurs années avant que la décision ne soit rendue!

Les municipalités sont pourtant hésitantes à s’engager dans la démarche de citation d’un bien immobilier. Il peut y avoir plusieurs raisons. Mentionnons au passage : le manque d’expertise et/ou de volonté politique pour réaliser l’inventaire des possibles immeubles à protéger ou encore la crainte de contrarier les propriétaires des maisons que la ville envisagerait de citer comme biens patrimoniaux. Finalement, au Québec, bon nombre de démolitions de maisons à valeur historique se sont déroulées sous le seul angle foncier : en lieu et place d’une belle d’autrefois, il est plus payant d’engranger des taxes municipales pour une nouvelle construction, qui plus est si elle contient plus d’une habitation.

Un outil inspiré de Vancouver : le Heritage Revitalization Agreement

Lorsqu’un immeuble est cité, classé ou déclaré patrimonial, le propriétaire a l’obligation de le rénover et de le préserver, faute de quoi, des amendes peuvent être imposées. Cependant, lorsqu’un immeuble ne l’est pas, il arrive que son propriétaire, patiemment, le laisse à l’abandon, jusqu’à ce que sa structure soit tellement endommagée qu’une seule option est possible : sa destruction, laissant ensuite le champ libre pour la construction d’un projet immobilier rentable, comme ce fut le cas pour la maison Redpath, à Montréal, il y a 6 ans. Comment faire pour éviter de telles tactiques sournoises?

L’apparition d’une affiche devant le 3150 Girouard Ouest à Saint-Hyacinthe, portant la mention avis de démolition, a fait réagir. PHOTO : Nelson Dion

Une avenue intéressante serait de permettre aux municipalités de faire des ententes avec les propriétaires de monuments à forte valeur patrimoniale. C’est l’avenue qu’ont choisie plusieurs villes canadiennes, dont Vancouver. L’idée est simple : on accorde un assouplissement de certaines règles municipales en échange de l’obligation de rénover et de préserver l’immeuble ou une partie de l’immeuble. Cela peut être utile par exemple pour changer la vocation de l’immeuble ou pour y ajouter une annexe moderne, tout en gardant dans le paysage urbain de la ville, les traces de son héritage. Ainsi, cet été, un restaurant Deli en banlieue de Vancouver, a obtenu la permission de faire des travaux majeurs d’agrandissement, en échange de quoi les propriétaires s’engageaient à préserver la partie patrimoniale de l’immeuble, construit en 1926.

Un coup de barre pour la protection du patrimoine bâti

En juin, la vérificatrice générale du Québec a publié un rapport accablant sur le manque de leadership effarant du ministère de la Culture pour protéger son patrimoine bâti. Même les immeubles protégés sont laissés à l’abandon, faute d’inspection et de soins. Le gouvernement a depuis annoncé quelques mesures, mais il faudra beaucoup plus pour donner le coup de barre dont on a besoin pour éviter que d’autres jalons de notre histoire ne subissent le sort de la maison Redpath, de la maison d’Alexis Le Trotteur, de la maison d’enfance de René Lévesque à New Carlisle, de la Maison Pasquier à Québec, de la Maison Hector-Charland à l’Assomption, de la maison d’Élyse à Beauceville, de la Maison Boileau à Chambly…