Paul-Henri Frenière
CHAOS OU ELDORADO ?
JM interroge un économiste
Quelle est la situation économique à Saint-Hyacinthe ? Pas facile de s’y retrouver. Selon le Conference Board of Canada, on friserait la catastrophe. Par contre, Emploi-Québec nous dit que la région se situerait dans le peloton de tête au niveau de la création d’emplois en Montérégie.
Et pour compliquer les choses, les données qui nous parviennent depuis quelque temps concernent tantôt la Montérégie, tantôt la MRC des Maskoutains et tantôt Saint-Hyacinthe. Elles proviennent soit du Conference Board of Canada, soit de l’Institut de la statistique du Québec, soit de Statistique Canada, soit du Centre local de développement (CLD) Les Maskoutains et enfin d’Emploi-Québec Montérégie.
La « bombe » qui a secoué le milieu d’affaire maskoutain nous est tombé sur la tête en mai dernier alors que le Conference Board of Canada (CBOC) lançait que, selon son étude, « l’économie de Saint-Hyacinthe est en perte de vitesse depuis huit ans. Le produit intérieur brut (PIB) réel et le marché de l’emploi de la région sont presque revenus à la moitié de ce qu’ils étaient en 2005 ».
Et la donnée la plus invraisemblable de cette étude du CBOC indiquait que, durant cette période de huit ans, Saint-Hyacinthe ne comptait plus, en 2012, que 20 400 emplois, soit une perte nette de 46 %. Ni plus ni moins que l’hécatombe.
Il va sans dire que ces chiffres ont été contestés par divers acteurs économiques de la région et par des spécialistes. Notamment par Régis Martel qui scrute à la loupe l’économie locale et régionale depuis 30 ans.
Économiste principal à la Direction de la planification et de l’information sur le marché du travail d’Emploi-Québec Montérégie, Régis Martel a publié mensuellement, depuis des années, des rapports détaillés sur le marché du travail dans la région. Autrement dit, l’économie et l’emploi, c’est sa tasse de thé.
Selon lui, non seulement la situation de l’emploi ne serait pas catastrophique, mais les employeurs de la MRC des Maskoutains vivent actuellement, et vivront dans un avenir rapproché, des difficultés de recrutement de main-d’œuvre.
En effet, l’enquête sur les caractéristiques de la demande de main-d’œuvre, réalisée par Emploi-Québec entre avril et octobre 2012 auprès de 469 entreprises de la MRC (comptant cinq employés et plus), témoigne d’une forte augmentation du nombre d’emplois disponibles par rapport à la même enquête menée en 2010.
Régis Martel ne le dira pas directement (il est trop poli pour ça), mais les explications qu’il donne démontrent que les chiffres alarmistes avancés par le Conference Board sont de la foutaise.
Selon le tableau du CBOC, Saint-Hyacinthe aurait perdu pas moins de 17 400 emplois de 2005 à 2012, un chiffre qui a d’ailleurs fait la manchette d’un journal local le 16 mai dernier.
Or, Régis Martel estime que le CBOC a erré dans son estimation en n’utilisant pas tous les indicateurs économiques pour baser ses résultats. « C’est évident que la récession de 2008 a donné un dur coup, admet l’économiste. Mais si l’on intègre d’autres indicateurs sérieux et robustes dans l’analyse, comme les demandes de prestations d’assurance-emploi et d’aide sociale, nous arrivons à un chiffre beaucoup moins élevé. »
« Il y aurait eu environ 3000 pertes d’emploi à Saint-Hyacinthe plutôt que 17 400 en considérant ces autres indicateurs. Je ne pense pas que plus de 14 000 chômeurs seraient retournés chez eux pour se bercer devant la fenêtre sans faire de demande d’assurance-emploi » ironise Régis Martel.
Conference Board « vend » ses études
Notons que le Conference Board of Canada est un organisme non gouvernemental qui se finance en vendant ses études aux secteurs privé et public.
C’était la première fois que l’organisme s’aventurait à ce genre d’étude pour des villes de taille moyenne. Il en a sélectionné 46 à travers le Canada, incluant Saint-Hyacinthe.
Comme le CBOC « vend » le résultat de son travail 4 000$ à chacune des municipalités, cela représentait un revenu potentiel de 184 000$.
La situation de l’emploi dans la région de Saint-Hyacinthe : est-ce le chaos ou l’eldorado ? Probablement ni l’un ni l’autre, mais il serait plus sage de se fier à l’analyse d’un économiste qui scrute ces données depuis trois décennies plutôt qu’à un organisme qui en a fait un premier survol.
Re: CHAOS OU ELDORADO ?
Merci d’avoir pris la peine de faire cette recherche, d’avoir sollicité l’entrevue à Régis Martel et d’en présenter les résultats avec talent.
Michel Filion
Re: CHAOS OU ELDORADO ?
Comme vous le mentionnez, l’avantage d’utiliser les résultats d’une recherche qui possede une expérience, une histoire de quelques années, c’est que, en bons statisticiens, ils utilisent les mêmes méthodes année après année, ce qui veut dire que les résultats sont comparables d’une année à l’autre et que, ce faisant, ils peuvent mieux déterminer qu’elle sont les tendances.
En matière de lecture économique, il est très dangereux de prendre les résultats d’une étude puis le résultat d’une autre étude qui utilise probablement avec une autre méthodologie et d’en faire une troisième nouvelle… qui fait notre affaire… ce que bon nombre de politiciens ont toujours eu tendance à faire.
Re: CHAOS OU ELDORADO ?
Tout d’abord, je tiens à souligner le professionnalisme et la rigueur de JM autour de cette “polémique” entourant l’emploi à Saint-Hyacinthe. Sans tomber dans du journalisme populiste, vous avez pris le temps de bien faire vos recherches, d’apporter l’opinion d’experts (tels que MM. Rochon et Martel) et de nous dresser le vrai portrait de notre ville en matière d’emploi. Vous n’avez pas sauté à pieds joints sur les conclusions du Conference Board dans le but de faire les manchettes et c’est tout en votre honneur.
Il est clair que les conclusions émises par le Conference Board sur la conjoncture économique de Saint-Hyacinthe étaient douteuses. À lire le rapport, on a l’impression que Saint-Hyacinthe est, à plus petite échelle bien sûr, dans une situation semblable à la Grèce!!! Évidemment, la réalité est tout autre et JM a bien exposé la situation à travers cet article rigoureux et professionnel.
Bravo!