Collaboration Spéciale
La marginalisation des médias communautaires
Les mesures d’aide du gouvernement fédéral ne s’adressent pas aux médias écrits communautaires. L’Association des médias écrits communautaires du Québec (AMECQ) déplore un manque de reconnaissance de la part du gouvernement fédéral envers ses membres et le journalisme communautaire.
La Division du journalisme de l’Agence du revenu du Canada annonçait, en 2019, de nouvelles mesures visant à soutenir le journalisme canadien, une aide attendue depuis longtemps, dans laquelle les médias en situation précaire fondaient beaucoup d’espoirs. Or, bien qu’elles aient été accueillies favorablement par plusieurs organisations médiatiques à travers le pays, ces mesures ne tiennent pas compte du caractère exceptionnel des journaux communautaires du Québec.
D’abord, l’attribution d’un statut de donataire permet aux médias de remettre des reçus de charité. « Mais, le problème, c’est que la mesure exclut tous les journaux tenus exclusivement par des bénévoles. Un média communautaire québécois se distingue, entre autres, par la prise en charge de l’administration et de la direction de l’information par des citoyens bénévoles », relève d’entrée de jeu Yvan Noé Girouard, directeur général de l’AMECQ, qui décrit, ici, une situation dans laquelle se trouve la majorité de ses membres.
Mon journal, La Gazette de la Mauricie, emploie, pour sa part, des journalistes rémunérés, et souhaitait donc obtenir le statut de donataire. Mais en janvier 2021, l’Agence du revenu du Canada a refusé notre demande, arguant que nous ne produisons pas de « contenu original d’actualité » et ne couvrons pas les activités des conseils municipaux. Il s’agit d’une interprétation inexacte, selon le conseil d’administration et le directeur de l’organisation, Steven Roy Cullen, qui en ont appelé de la décision.
« Nous croyons qu’il s’agit là d’une vision erronée et ultra-réductrice de notre travail, qui ne tient pas compte de la spécificité d’un journal mensuel et du journalisme communautaire, qui vise, avant tout, à donner la parole aux citoyens. De plus, nous organisons un débat à chaque élection fédérale avec les candidats de la région et obtenons des entrevues sur une base régulière avec des élus de tous les paliers sur des enjeux régionaux brûlants d’actualité », affirme M. Roy Cullen, qui s’explique mal l’ironie de la décision du gouvernement alors que des élus fédéraux s’expriment régulièrement dans les pages et activités du média communautaire.
« Que La Presse puisse remettre des reçus de charité alors que les médias communautaires ne peuvent pas le faire, c’est d’une iniquité inouïe et c’est proprement scandaleux », observe, pour sa part, Raymond Corriveau, qui a été président du Conseil de Presse du Québec de 2004 à 2009 et qui est, aujourd’hui, membre du Centre de recherche interuniversitaire sur la communication, l’information et la société (CRICIS).
Le crédit d’impôt sur la main d’œuvre, annoncé en même temps que la possibilité d’obtenir un statut de donataire, est lui aussi sans effet puisqu’à titre d’OSBL, les médias communautaires ne paient déjà pas d’impôts. « Les médias communautaires sont dans un no man’s land depuis tellement d’années, et ils ne sont pas reconnus à la hauteur de la valeur du travail qu’ils font », ajoute M. Corriveau, relevant, au passage, le travail exemplaire du journal Le Saint-Armand dans le dossier de la « guerre des poteaux » qui opposait Bell à la MRC Brome-Missisquoi.
Contradictions
La structure financière des médias écrits communautaires repose essentiellement sur une subvention du ministère de la Culture et des Communications (MCC) du Québec dont la portée se limite au paiement des frais d’impression et, parfois, à l’embauche d’une ressource pour coordonner les activités. C’est donc en bonne partie pour favoriser l’embauche de journalistes professionnels que les journaux communautaires souhaiteraient être admissibles aux programmes fédéraux.
« On aimerait que notre travail journalistique ne dépende pas exclusivement de nos revenus publicitaires et, pour cela, il faut que le fédéral reconnaisse l’importance de notre travail en finançant notre mission », revendique M. Roy Cullen. Or, les critères d’admissibilité du gouvernement québécois entrent en contradiction avec ceux du volet journal communautaire du Fonds du Canada pour les périodiques (FCP) : « Le fédéral exige que nos journaux soient payants, alors que le provincial exige le contraire. »
Celui-ci explique que les critères du ministère du Patrimoine canadien sont incompatibles avec ceux du MCC. « Le fédéral exige que notre diffusion soit payante alors que le provincial exige qu’elle soit gratuite. Il faudrait que ce critère tombe ou encore qu’un programme spécifique aux médias écrits communautaires soit créé au fédéral. »
« On dirait que les critères fédéraux ont été écrits avec l’objectif spécifique d’exclure les médias écrits communautaires québécois », remarque le directeur de La Gazette de la Mauricie.
Reconnaissance
Il n’y a pas que le gouvernement fédéral qui entretient des préjugés sur les médias communautaires. Sur le site de l’Association des journalistes indépendants du Québec (AJIQ), on peut lire qu’ils sont « une bonne école pour les pigistes, surtout quand ces médias sont bien établis, avec une équipe chevronnée. Attention, le travail y est le plus souvent bénévole et non reconnu par les médias “commerciaux”. À expérimenter… à condition d’en sortir ! ».
Pourtant, « on voit régulièrement nos membres être invités à parler de leurs sujets d’articles et chroniques dans les autres médias de la Mauricie. Ce qui démontre bien la pertinence et la qualité du travail de notre équipe dans le paysage médiatique », fait valoir M. Roy Cullen.
À titre d’étudiant en Communication sociale à l’UQTR, journaliste au sein de l’équipe de La Gazette de la Mauricie et membre de la FPJQ (Fédération professionnelle des journalistes du Québec), je joins ma voix à celles des représentants de l’AMECQ et de mon directeur général pour dénoncer la marginalisation et la méconnaissance du gouvernement fédéral quant au travail essentiel des médias écrits communautaires et des journalistes qui y œuvrent. Je tiens également à saluer le soutien de Marc-André Pelletier, président de la FPJQ Mauricie, qui nous a fait part de sa volonté d’intégrer un représentant des médias communautaires au sein de la section régionale.
Il est temps que la marginalisation et la méconnaissance du travail essentiel des médias écrits communautaires cessent.
L’auteur de ce texte, Alex Dorval, est journaliste à La Gazette de la Mauricie et étudiant en Communication sociale à l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR).
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