Société

Le dur parcours de Lucien… à Lucie

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Lucie Desbiens est née hermaphrodite, c'est-à-dire à la fois fille et garçon. Mais la société d'alors a décidé que l'enfant serait un garçon. Cette décision a provoqué une série de drames qui l'ont presque menée au suicide. Aujourd'hui, six ans après son opération qui a enfin confirmé son identité féminine, elle vit dans un modeste mais coquet logement à Saint-Hyacinthe. Tout ce qui lui manque pour être enfin heureuse, c'est un travail. Mais ce n'est pas évident…

Lucie Desbiens. Photo: Paul-Henri Frenière. Depuis quatre ans que Lucie Desbiens se cherche désespérément un emploi. Elle me montre une longue liste des démarches qu'elle a faites à Saint-Hyacinthe et ailleurs. Elle me montre aussi son diplôme de soudeur qu'elle a obtenu avec distinction lorsqu'elle s'appelait… Lucien.

Le scénario est toujours le même. Impressionnés par son c.v. et ses qualifications, les employeurs la convoquent souvent en entrevue. C'est alors que ça se gâte. Son état de personne transgenre est difficilement accepté. Elle s'est fait dire carrément par un employeur qu'il craignait que son apparence provoque des « distractions » dans son atelier.

Et ses recherches d'emploi ne se limitent pas à sa spécialisation. Elle a postulé pour devenir commis, préposée aux bénéficiaires ou à l'entretien ménager, entre autres. La réponse est toujours la même : « On vous rappellera ». Mais le téléphone ne sonne jamais.

Déterminée à s'impliquer socialement, elle a été bénévole auprès de personnes en fin de vie. « L'une d'entre elles a demandé à me voir alors qu'elle était sur le point de mourir. J'y suis allée et sa demande m'a vraiment touchée » raconte-t-elle.

Ayant épuisé ses économies depuis son opération, Lucie Desbiens vit de l'aide sociale. Et elle en a assez. Elle s'est impliquée activement dans tous les programmes disponibles d'intégration au marché du travail. Mais en vain.

Suite à ces résultats négatifs, Emploi Québec lui impose maintenant de faire une demande pour obtenir une rente d'invalidité. « Ai-je l'air d'une personne invalide? Je suis en très bonne santé et à 52 ans, j'ai encore de bonnes années à donner! » lance-t-elle.

Il fut un temps où elle gagnait un très bon salaire sur les chantiers de construction. Mais c'était avant son coming out. Elle était peut-être à l'aise financièrement, mais vivait un profond drame intérieur, une souffrance qu'elle portait depuis son enfance.

L'incompréhension, le rejet et l'humiliation

Née à Sept-Îles au début des années 60, son hermaphrodisme n'a jamais été accepté par sa famille et, manifestement, mal compris par le système médical. Son père, qui travaillait pour la GRC, l'a toujours appelé « la tapette ».

En cachette, le petit Lucien s'habillait avec les vêtements de ses sœurs et se mettait du vernis à ongles. Lorsqu'il était surpris, il était sévèrement puni par ses parents. Évidemment, à l'école, c'était l'enfer. Rejeté par les autres élèves, il a souvent fait l'école buissonnière. Il a quand même obtenu – tardivement – son diplôme d'études secondaires.

À l'âge de 13 ans, il a été interné dans un hôpital psychiatrique. Durant toute une année, on lui a administré des hormones mâles (testostérone) pour supposément corriger son caractère féminin.

Au début de la vingtaine, on lui a fait rencontrer le célèbre Doc Mailloux. Le controversé psychiatre lui aurait alors dit : « Tu devrais être capable de te débrouiller dans la vie avec ça », faisant référence à son hermaphrodisme. Ils ne se sont jamais revus.

Malgré tous ses tourments, le jeune homme s'est tout de même retrouvé à travailler sur les chantiers de construction comme soudeur et monteur. Il vivait à ce moment-là à Québec.

Un jour, des collègues de travail l'invitent à un party. Après avoir travaillé trois ans avec eux, il était tout fier d'être accepté dans le groupe. À ce stade de son récit, Lucie Desbiens hésite. On voit qu'elle a la gorge nouée par l'émotion. Le souvenir est trop pénible.

Après quelques instants de silence, elle raconte : « À un moment donné, il m'ont déshabillé complètement… Et ils m'ont jeté tout nu dans la rue en me criant de sacrer mon camp, qu'ils ne voulaient plus jamais me voir… »

Une profonde dépression s'ensuivit – une autre – qui dura trois ans celle-là. Par trois fois, il a tenté sérieusement de se suicider. Elle me montre les marques sur son avant-bras.

Bien dans sa peau pour la première fois

Après un long calvaire, marqué par la consommation de cocaïne et l'automutilation, il ne reste plus qu'une solution pour le retenir à la vie : devenir enfin une femme à part entière.

Il cesse de consommer et amorce une longue et complexe démarche pour qu'on transforme son corps : un processus qui est toujours en cours. À 46 ans, il obtient enfin l'autorisation de se faire opérer dans une clinique spécialisée de Montréal.

Pendant ce temps, les circonstances de la vie l'ont amenée à vivre à Saint-Hyacinthe. La première année a été difficile. Trois fois, Lucie Desbiens s'est fait attaquer dans la rue, toujours à cause de son apparence.

Et c'est sans parler des quolibets et des méchancetés proférés par des adultes et même par des plus jeunes. « C'est un problème d'éducation, dit-elle. C'est dommage qu'on ait enlevé les cours d'éducation sexuelle à l'école. Ce n'est pas à l'âge adulte qu'on apprend à accepter les différences sexuelles, c'est trop tard. Pourtant, nous ne sommes pas des monstres, ni des extraterrestres ».

Depuis qu'elle a changé de quartier, les choses se passent mieux. Les nouveaux voisins semblent l'accepter. « Je me sens plus stable aujourd'hui. Pour la première fois de ma vie, je me sens bien dans ma peau. Tout ce qu'il me manque, c'est un emploi ».

À plus long terme, Lucie Desbiens aimerait ouvrir une maison d'accueil pour les transsexuels. « Il existe une association à Montréal (l'Association des transsexuels du Québec), mais ça serait important qu'il existe un service en région, pour la Montérégie par exemple. Seulement à Saint-Hyacinthe, je connais au moins six transsexuels et la majorité sont en sérieuses difficultés ».

Pour le moment, Lucie Desbiens reçoit le soutien du Centre psychosocial Richelieu-Yamaska. « N'oubliez pas de parler d'eux dans votre article, me lance-t-elle à la fin de l'entrevue. Ce sont des gens formidables ».

Voilà, c'est fait Madame Desbiens. C'est dans l'article.