Françoise Pelletier
Moton
Je ne te connaissais pas tellement, mais tu faisais partie du groupe au boulot. Et ce matin, j’ai appris que tu t’étais enlevé la vie. Nul besoin de vanter tes qualités ou mérites pour te pleurer, seulement savoir que tu t’es enlevé la vie est suffisant pour imaginer un bout de ce que tu as dû endurer en dedans.
J’ai eu un choc, en l’apprenant, on en a tous eu un, je crois. Un sentiment de vide, d’être figé. Une petite crisse de voix qui dit à l’intérieur de nous : ‘’j’aurais dû être plus ci ou plus ça…’’ La culpabilité. La peine pas montée encore. L’inquiétude à penser aux autres qui vivent aussi un paquet de souffrances et que ton départ final exacerbe. L’incompréhension de ton geste, parce que même si on pense savoir, on ne sait pas. Pire : on ne saura jamais. Pourquoi ne t’es-tu pas donné une chance, qu’est-ce qui a fait que tu as glissé jusqu’à la terrible non-solution de mourir.
Si tu voyais comment ton départ nous affecte, l’impact que ça a sur nous tous… La violence de ton geste. Parce que c’est d’une extrême violence, le suicide. Tu t’es tué, et tout le monde autour de toi, même ceux et celles qui n’étaient pas très près de toi nous avons mal. Nous encaissons comme nous pouvons, moi j’ai toléré le moton une partie de la journée et là j’écris. J’espère que les autres pourront trouver une façon de ventiler aussi. Se donner le droit d’être en beau tabarnak après toi, après avoir braillé en masse. Faire le deuil de toi, et d’avoir pu te tendre la main à temps. Essayer de toutes les façons possibles d’intégrer ta mort violente même si elle est indigeste. Peut-être arriver à se convaincre que c’était ton choix, que tu étais libre de mettre ainsi fin à tes jours. Se répondre que ça n’a pas de maudit bon sens, que ce n’est jamais un choix, juste un grand cri qui est tombé dans le vide…
Essayer de mettre un peu de légèreté dans l’invivable de ta mort. Avoir envie de te shaker rétroactivement ben comme faut en te criant par la tête : ‘’ Coudonc, tabarnak, késsé t’avais à vouloir mourir tout d’suite ? C’est pas comme si t’étais éternel ! Tu serais ben mort assez vite…’’ Sentir que le moton a un peu bougé parce que j’ai ri un peu. T’écrire.
Re: Moton
Beau texte très touchant, Véronique, merci!
Gilles
Bizoux!
Re: Moton
Chère Françoise,
À toi et tes collègues j’offre toute mes sympathies. J’ai eu à vivre ce genre de tabarnak d’incensé deuil!
Une des affaires le plus plates c’est que le temps, ce toryieux, est amanché pour veiller tard, donc il vous attendra au tournant pour vous dire « tu vois, j’te l’avais dit que ça passerait! » mais certainement pas maintenant…
Hommages à votre collègue.
Re: Moton
Que dire…
Pour reprendre les paroles d’une chanson: »Avec le temps tout s’en va. » Mais, à chaque événement semblable, tout nous revient, et ça fait toujours mal même si la douleur s’est estompée un peu…
Re: Moton
Je reste sans voix et j’espère que le remord n’est pas à retardement. Françoise toi qui me connais bien, tu sais de quoi je parles. Mon expérience me fais dire qu’il y a , je l’espère, deux formes de suicidés. Même trois, : ceux qui s’intoxiquent à ptits feux avec des psychotropes à long terme. Et pendant que j’écris, je me dis, il y a, quand même eu, souffrance extrême… puisque qu’il y a eu délivrance extrême.
Re: Moton
On ne s’habitue jamais. Il y a plusieurs suicidéEs dans mon histoire et chaque fois et quand ça arrive cette nouvelle histoire ça s’ajoute aux autres, me donne un sentiment d’impuissance cuisant. La fois où j’ai le plus pleuré c’est aux funérailles d’une dame, une femme avec qui j’avais travaillé au comité de rédaction d’une revue. Elle m’avait demandé de l’aide car elle était hospitalisée, elle avait des ECT et ses dents s’étaient cassées pendant une des interventions. J’ai réussi à obtenir pour elle qu’elle puisse quitter l’hôpital à Noël pour aller dans son groupe d’entraide. Son md m’ a appelé pour me dire que je serais responsable s’il arrivait quelque chose. Il n’est heureusement rien arrivé à Noël cette année-là. Mais plus tard elle s’est jetée devant le métro à cinq heures. Elle en avait assez de tous leurs traitements de merde. Monique était une artiste de talent on a brisé sa vie en la traitant comme ils l’ont fait. C’était une fanatique des spectacles gratuits à Montréal à un certain moment ils ont décidé de la mettre dans une famille d’accueil dirigée par une infirmière de l’hôpital à St-Bruno la coupant de tout son réseau. J’ai beaucoup pleuré Monique car ça aurait pu se passer autrement si on l’avait respectée.