Chronique

Moton

Je ne te connaissais pas tellement, mais tu faisais partie du groupe au boulot. Et ce matin, j’ai appris que tu t’étais enlevé la vie. Nul besoin de vanter tes qualités ou mérites pour te pleurer, seulement savoir que tu t’es enlevé la vie est suffisant pour imaginer un bout de ce que tu as dû endurer en dedans.

J’ai eu un choc, en l’apprenant, on en a tous eu un, je crois. Un sentiment de vide, d’être figé. Une petite crisse de voix qui dit à l’intérieur de nous : ‘’j’aurais dû être plus ci ou plus ça…’’ La culpabilité. La peine pas montée encore. L’inquiétude à penser aux autres qui vivent aussi un paquet de souffrances et que ton départ final exacerbe. L’incompréhension de ton geste, parce que même si on pense savoir, on ne sait pas. Pire : on ne saura jamais. Pourquoi ne t’es-tu pas donné une chance, qu’est-ce qui a fait que tu as glissé jusqu’à la terrible non-solution de mourir.

Si tu voyais comment ton départ nous affecte, l’impact que ça a sur nous tous… La violence de ton geste. Parce que c’est d’une extrême violence, le suicide. Tu t’es tué, et tout le monde autour de toi, même ceux et celles qui n’étaient pas très près de toi nous avons mal. Nous encaissons comme nous pouvons, moi j’ai toléré le moton une partie de la journée et là j’écris. J’espère que les autres pourront trouver une façon de ventiler aussi. Se donner le droit d’être en beau tabarnak après toi, après avoir braillé en masse. Faire le deuil de toi, et d’avoir pu te tendre la main à temps. Essayer de toutes les façons possibles d’intégrer ta mort violente même si elle est indigeste. Peut-être arriver à se convaincre que c’était ton choix, que tu étais libre de mettre ainsi fin à tes jours. Se répondre que ça n’a pas de maudit bon sens, que ce n’est jamais un choix, juste un grand cri qui est tombé dans le vide…

Essayer de mettre un peu de légèreté dans l’invivable de ta mort. Avoir envie de te shaker rétroactivement ben comme faut en te criant par la tête : ‘’ Coudonc, tabarnak, késsé t’avais à vouloir mourir tout d’suite ? C’est pas comme si t’étais éternel ! Tu serais ben mort assez vite…’’ Sentir que le moton a un peu bougé parce que j’ai ri un peu. T’écrire.