Chronique

Mon octobre 1970

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Depuis quelques semaines, on commémore abondamment la Crise d’octobre 1970. On parle beaucoup des événements qui ont eu lieu à Montréal, bien sûr, mais la Loi sur les mesures de guerre, décrétée par le gouvernement fédéral, avait des résonances ailleurs au Québec, notamment à Saint-Hyacinthe.

En 1970, j’étais adolescent. Ma première surprise a été de voir deux soldats monter la garde devant la résidence du député fédéral, Théogène Ricard, dans le quartier Sacré-Cœur.

Les rumeurs couraient à l’effet que Jacques Lanctôt, l’un des principaux acteurs du Front de libération du Québec (FLQ), avait enseigné durant trois ans à l’école secondaire Casavant, dans le même secteur. Lanctôt était l’un des rédacteurs du fameux manifeste qui avait été lu sur les ondes de Radio-Canada. On peut y lire, dans une charge dénonçant les inégalités et la pauvreté : « Oui, il y en a des raisons pour que vous, Madame Lemay de Saint-Hyacinthe, vous ne puissiez vous payer des petits voyages en Floride comme le font avec notre argent tous les sales juges et députés. »

Dans ma grande naïveté juvénile, j’ai eu l’idée de partir à la recherche des soldats postés dans la ville pour les photographier et en faire, éventuellement, un travail scolaire. Il y en avait deux, devant le palais de justice, qui me semblaient faire l’affaire pour commencer.

J’avais les cheveux longs et un look vaguement hippy. Je m’approchai avec ma caméra et l’un d’eux m’arrêta sec. « Get out of here, you, bastard! », me lança-t-il sur un ton agressif. Il devait probablement s’imaginer que j’étais un terroriste en herbe.

***

Cet automne-là, je faisais partie d’un petit groupe de jeunes du séminaire et du collège Saint-Maurice qui s’était donné comme mission d’aider les enfants de milieux défavorisés à faire leurs devoirs, question d’améliorer leurs chances dans la vie. Ma camarade Micheline et moi étions affectés à une famille monoparentale où se trouvaient trois enfants d’âge scolaire. Tous vivaient dans un trois et demi : les deux gars couchaient dans la même chambre, et la jeune fille, dans les toilettes. Le bain était son lit et les couvertures, un sac de couchage.

Nous avons été bien reçus. La mère était bien contente que l’on aide ses enfants.

Un jour où la leçon s’était étirée jusqu’à l’heure du souper, elle nous a invités à rester. C’était la fin du mois et elle avait de quoi faire trois hot-dogs, c’est tout. Elle a proposé de les couper en deux pour faire six portions. Ma camarade et moi avons décliné l’invitation. Misère…

***

Quel est le lien entre ces deux histoires ?

Les frères Rose ont grandi dans un quartier défavorisé de Montréal. Ils voulaient libérer le peuple québécois de la pauvreté et de la misère par la révolution. La mère monoparentale ne souhaitait pas que ses enfants sortent le soir de peur qu’ils se fassent enlever… par le FLQ. Pendant ce temps, l’armée et les policiers arrêtaient des centaines de Québécois et de Québécoises injustement.

Cet automne-là, j’ai compris que le message ne passait pas.