Chronique

Le BAPE, le lobbyisme et l’acceptabilité sociale… ou le serpent qui se mord la queue

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Il existe, depuis 40 ans, un organisme dont le mandat est d’éclairer le gouvernement et sa prise de décision en lien avec la Loi sur le développement durable. Concrètement, cet organisme tient des séances d’information pour tout projet d’envergure au Québec qui doit faire l’objet d’une évaluation environnementale. Il s’agit, évidemment, du BAPE, le Bureau d’audiences publiques sur l’environnement.

Pour se faire entendre au BAPE, pas besoin d’être un expert ou une partie concernée au projet, tous et toutes peuvent y participer. En témoignent d’ailleurs, sur quatre décennies, les 3000 séances publiques tenues, les 250 000 participants qui y ont défilé, et les 14 000 mémoires déposés ! Cependant, le fonctionnement et le mandat du BAPE, imaginés il y a près d’un demi-siècle pour servir de garde-fou environnemental, sont caducs sous certains aspects. Le chien de garde formel du processus d’évaluation environnementale s’est fait limer ses petits crocs et on lui fait porter la muselière… Plutôt que de décrédibiliser le BAPE, si nous réclamions, collectivement, un BAPE 2.0, un BAPE revampé, un BAPE avec des dents, des vraies ?

Un autre possible pour le BAPE : une véritable indépendance pour l’organisme

De sa naissance à aujourd’hui, le BAPE n’a jamais eu les coudées franches ; l’organisme ne peut, de son propre chef, choisir ses mandats. Il est tributaire du gouvernement en poste. Parfois, confier un mandat au BAPE s’impose vu notre législation et le type de projet visé ; parfois, le gouvernement se fait tirer l’oreille par la mobilisation populaire ; parfois, un BAPE serait le bienvenu, mais Québec fait la sourde oreille ; à d’autres moments, le pouvoir provincial prend les devants et se charge de mettre le BAPE au travail. Sauf que ce dernier cas de figure est de plus en plus rare : le BAPE n’a jamais eu aussi peu de dossiers à étudier depuis 30 ans !

Or, cet autre possible, où l’on imagine un BAPE véritablement indépendant, débarrassé de sa sujétion au gouvernement, est une nécessité politique et sociale à l’heure où les enjeux de développement et d’environnement sont légion. Si le BAPE choisissait lui-même ce sur quoi il se penche, peut-être aurions-nous déjà eu des commissions sur la destruction systématique des milieux humides en Montérégie, sur le projet du troisième lien à Québec ou sur celui du gazoduc au Saguenay–Lac-Saint-Jean ?

Un BAPE qui a du mordant, au nom de l’environnement

Lorsqu’un BAPE est mis sur pied, c’est toute une série d’acteurs qui croisent le fer pendant des semaines, voire des mois, à coup d’interventions au micro et de mémoires déposés. Toutefois, les conclusions, analyses et constatations du BAPE n’ont pas force de loi. Concrètement, un projet peut ne pas avoir d’acceptabilité sociale, être dommageable pour l’environnement et le tissu social, ne pas avoir l’approbation du BAPE… C’est le gouvernement au pouvoir qui décide d’aller tout de même de l’avant ou non ; il a le dernier mot. Le cas de la mine d’or à ciel ouvert à Malartic en est un bon exemple.

Si la pression populaire et la volonté politique y sont, il serait tout à fait possible de légiférer et de donner au BAPE plus de mordant en lui accordant un pouvoir contraignant. Il s’agirait, ni plus ni moins, d’un renversement du rapport de force entre, d’un côté, les intérêts des promoteurs et des lobbyistes et, de l’autre, du bien commun et de la préservation de l’environnement.

Entre-temps, jusqu’à ce que le BAPE soit revampé comme il le mérite, contentons-nous de rappeler un possible existant qui ne devrait pas l’être : Pierre Renaud, ex-président du BAPE de 2007 à 2012, s’est fait embaucher par Mine Arnaud sept mois après son congédiement par le gouvernement, pour conseiller la firme dans un projet de développement minier à Sept-Îles. Puis, quelques années plus tard, nous retrouvons l’ex-président du BAPE œuvrant à titre de conseiller pour Sayona Mining dans le cadre de son projet de mine de lithium à ciel ouvert en Abitibi où BAPE il y aura malgré la volonté initiale de la CAQ et de son ministre de l’Environnement, Benoit Charette, de fermer la porte à la tenue d’une telle commission.