Chronique

Le prix du sexe et QS

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‘’Dans la prostitution ce n’est pas le sexe qui est sale, c’est l’argent’’.  

– Militante abolitionniste désirant garder l’anonymat.

 

Vous dire à quel point je suis déprimée, je ne saurais le faire. J’essaie de me dire que ça va continuer à me donner de la job, plein de job. Je devrais être contente au fond. Plus de femmes et de vies brisées par la prostitution dans mon bureau, à tenter de recoller avec elles les morceaux de leur santé mentale éclatée. 

Parce que c’est un peu ça que ça revenait à dire, cette proposition de Québec solidaire, qui a, on l’a vu, fait sauter de joie celles (et ceux) qui travaillent à faire reconnaître leur droit, individuel, rappelons-le, à faire en paix ce qu’ils appellent le travail du sexe, plutôt qu’à tenter d’abolir une forme d’exploitation d’une vaste majorité, une affaire donc de droits collectifs. 

Comment avez-vous pu applaudir alors qu’on vous a convié à un festival des droits individuels, vous, membres d’un parti de gauche progressiste et ancré dans la justice sociale et le bien commun? 

À qui croyez-vous tendre l’oreille, la main, lorsque vous reconnaissez que la prostitution, pratiquée à plus de 80 pour cent par des femmes et consommée à plus de 99 pour cent par des hommes est un simple travail? À qui vos prétentions humanistes profitent-elles?

Certainement pas à la poignée de personnes qui affirment exercer librement le travail du sexe, mais plutôt au lobby de l’industrie du sexe qui, en coulisses, engrange des profits aussi faramineux que ceux des banques que vous dénoncez. 

Comment pouvez-vous en être venu.e.s à croire que vous preniez la sécurité des femmes à cœur tout en ployant l’échine devant cette industrie? Comment en êtes-vous venu.e.s à croire que vous aviez donné la parole aux principales concernées, alors qu’une seule femme survivante a pu prendre la parole durant deux petites minutes bien tassées lors de votre congrès? Vous rendez-vous compte que la position abolitionniste vise à décriminaliser les femmes et autres personnes prostituées et à criminaliser les clients et proxénètes et que ce faisant, ça donne un levier de pouvoir aux femmes prostituées aux prises avec des clients et exploiteurs qui abusent d’elles, puisqu’ils peuvent désormais être interpelés et arrêtés? 

Je ne partage pas votre joie face à ce que vous avez appelé un consensus ralliant les deux positions féministes et les deux camps en présence. Je n’ai vu que le soulagement d’un parti qui a eu bien peur qu’ait lieu un véritable débat de fond. J’ai vu et entendu que c’était une joute entre deux factions, dont les personnes pro-travail du sexe, fortement représentées par les circonscriptions montréalaises de Québec solidaire, avaient l’avantage du terrain en termes de nombre de militant.e.s et de présence par rapport aux autres circonscriptions des régions plus éloignées.

Je n’accepte pas que mes légitimes questionnements comme femme, féministe et militante soient assujettis aux « appellations contrôlées » du milieu, pas plus que d’être qualifiée de moralisatrice, de tenante de la droite religieuse (ça, c’est simplement débile) et de putophobe : l’ultime insulte qui vise à faire taire toute forme d’arguments autres que ceux allant dans le sens du travail du sexe.

Je n’accepte pas que vous défendiez une position dont, à l’évidence, vous ne saisissez pas complètement les effets à long terme. Votre proposition supposément consensuelle, elle est clairement axée sur le vocabulaire pro-tds, qui reconnaît de facto que la prostitution peut être un travail comme un autre. Vous concourrez à banaliser la violence faite aux femmes en laissant entendre que cela peut être un choix libre et éclairé. Une illustration du plein arbitre quand il est mis de l’avant dans toutes ses connotations néolibérales. 

Et vous déresponsabilisez les hommes qui consomment des femmes en échange d’argent. Je me serais attendue à autre chose venant de vous, dirigeant.e.s et membres militant.e.s de Québec solidaire. Je me serais attendue à la tenue d’un vrai débat, pas à une apparition tardive à l’ordre du jour qui a entraîné des discussions menées à la va-vite et réparties sur deux jours, ce qui a eu pour effet que plusieurs personnes venues des régions le samedi n’ont pu être là le lendemain, jour du vote. Je me serais attendue à ce que vous défendiez l’intérêt collectif plutôt que les demandes particulières d’individus engagés dans cette activité de leur plein gré semble-t-il et parlant en leur nom et en leur nom seul. 

Je suis très triste lorsque je songe à toutes ces femmes qui recevront ce message désormais validé par un parti officiellement féministe et progressiste, un message selon lequel l’exploitation sexuelle est acceptable, en autant qu’elle soit rémunérée « adéquatement ». Ça me révulse, comme lorsqu’on entendait, il y a quelques décennies à peine, que les abus sexuels étaient moins graves quand ils étaient perpétrés avec « douceur et amour ». 

Après ma journée de samedi passée au congrès de Québec Solidaire, et ce que j’ai entendu de mes alliées qui étaient là dimanche, j’ai bien pensé tout balancer et déchirer ma carte de membre par dépit. Mais je refuse de céder du  terrain à l’industrie qui tente de nous faire croire que le sexe a un prix1.  Alors, je vais plutôt vous inviter, militant.e.s de Québec solidaire, à faire l’effort d’une analyse plus poussée et à vous intéresser aux faits, aux statistiques réelles et chiffrées ainsi qu’aux études sérieuses et fondées de la Concertation des luttes contre l’exploitation sexuelle2. Après, si vous acceptez encore d’appeler la prostitution le travail du sexe, eh bien, on pourra dire qu’il n’y a pas que les prostituées qui souffrent de dissociation, mais que c’est aussi le cas de bien des membres de Québec solidaire.

 

Post-Scriptum :

1- « Si vous avez de véritables convictions féministes et que vous tenez à ce que les femmes jouissent de la sexualité, je ne comprends pas comment vous pouvez défendre une institution qui est basée sur le renoncement à toute forme de désir éprouvé par les femmes, en se limitant à satisfaire les désirs de l’homme. » https://ressourcesprostitution.wordpress.com/2014/05/24/etre-et-etre-achetee-une-entrevue-avec-kajsa-ekis-ekman-par-meghan-murphy/

2- http://www.lacles.org/dossier-traite-et-prostitution-des-femmes-dans-la-revue-labrys