Chronique

L’histoire « du » Noir

paul-henri_freniere

Février, c’est le Mois de l’histoire des Noirs. À Saint-Hyacinthe, dans les années ’60, je ne voyais qu’un seul Noir. Nous avions le même âge et nous nous croisions parfois. En 2010, j’ai eu l’idée de le rencontrer, question de connaître son histoire. Il s’appelait Alain.

Il m’avait donné rendez-vous à la Brûlerie Mondor qu’il fréquentait régulièrement. J’ai voulu d’abord savoir comment il avait vécu son enfance. Ce n’était pas évident : le seul Noir dans une école de Blancs, l’école Christ-Roi.

Étonnamment, il m’a répondu qu’il n’avait pas vraiment subi de discrimination. Quelques incidents isolés, mais rien de grave ni de récurrent.

Alain était un enfant adopté. Il n’avait pas cherché à savoir qui étaient ses parents biologiques. Mais un jour, à l’âge de 12 ans, une dame l’intercepta alors qu’il marchait sur la rue Girouard. C’était madame Juliette Lassonde, celle-là même qui a donné son nom au Centre des arts.

Elle lui a appris que son « vrai » père était un joueur de baseball qui avait séjourné ici. Il faut dire qu’à la fin des années ’50, le baseball était très populaire dans la région. On avait même un club semi-professionnel dans la ligue provinciale : les Saints de Saint-Hyacinthe.

Après l’entrevue, de retour chez moi, j’ai fait des recherches sur internet et j’ai découvert l’identité du géniteur : un jeune Portoricain de 21 ans. J’ai même retracé sa photo sur un site américain de cartes de joueurs. Après son passage à Saint-Hyacinthe, il avait évolué dans les ligues majeures.

J’ai montré la photo à Alain. Il n’avait jamais vu à quoi ressemblait son père. Il n’a pas vraiment réagi. Sauf qu’il s’expliquait mieux la raison pour laquelle il avait toujours aimé la musique. Il en a même fait un métier.

Toute sa vie, il a chanté. D’abord dans les boîtes à chansons, puis dans les bars et les restaurants. En 30 ans de métier, il a composé près de 200 chansons originales. Mais comme son style était très éclectique et difficile à cerner pour les diffuseurs, il n’a jamais vraiment percé le marché.

Il a tout de même réalisé un rêve, celui de faire un disque. Dans une entrevue qu’il avait accordée à la journaliste Josiane Roulez à la sortie de son CD, il a avoué que c’était le plus beau moment de sa vie, après la naissance de ses trois enfants.

Il lui avait aussi confié qu’il avait écrit une chanson pour une grande amie qui était atteinte du cancer. Mais elle ne l’a jamais entendu puisqu’elle est décédée avant la parution de l’album. La chanson s’intitulait : « Destinée ».

À la fin de notre rencontre à la Brûlerie Mondor, Alain grimaçait de douleur. Il m’a dit qu’il irait voir un médecin dans les prochains jours. Quelques semaines plus tard, j’ai appris qu’il était mort. Un cancer fulgurant l’avait emporté à l’âge de 56 ans.

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Aujourd’hui, à Saint-Hyacinthe, il n’est pas rare de croiser une personne de couleur. Selon Statistiques Canada, la ville a accueilli plus de 1000 « non-Blancs » entre 2011 et 2016. Mais contrairement à Alain, ces personnes ont choisi de vivre ici une nouvelle vie. Et chacun et chacune aura sa propre histoire, sa propre destinée.