Chronique

L’infâme souffleur à feuilles

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Chaque année, à la fin de l’automne, il revient en force. Non, je ne parle pas de l’incontournable hiver ni du traditionnel arbre de Noël aux Galeries Saint-Hyacinthe, je pense plutôt à cet infâme appareil qui vient perturber nos vies : le souffleur à feuilles.

Qui n’a pas encore vu cet étrange objet qui a l’apparence de la tête d’un gros oiseau avec un long bec, mais qui fait le bruit d’une moissonneuse-batteuse ? La chose est actuellement en solde dans nos grands magasins et je crains fort que certains de mes concitoyens aient été tentés.

Je vous en conjure, mes amis, abstenez-vous ! Restez fidèles à votre râteau, c’est bien meilleur pour le cardio.

Comment se fait-il que l’être humain, celui-là même qui est en train de découvrir les secrets de la planète Mars, s’abaisse à fabriquer un objet aussi inutile que bruyant ? J’ai ma petite idée là-dessus. C’est que l’Homo Patentus (traduction : l’homme qui invente des patentes) est prêt à tout pour faire de l’argent.

Un appareil à moteur coûte évidemment plus cher qu’un vulgaire râteau. Mais dans le fond, quand on y pense bien, cette invention barbare n’est-elle pas qu’une réinvention alambiquée du bon vieux râteau à feuilles ? On remplace l’huile de bras par du vent, c’est moins forçant.

Non, mais, entre nous, à quoi ça sert de vous armer comme un militaire pour vous attaquer rageusement à de pauvres feuilles mortes qui ont le malheur de gésir devant votre porte ? Et avez-vous pensé au bruit ? Je suis convaincu que si vous baissiez la garde, vos voisins vous aimeraient davantage.

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Sérieusement, saviez-vous que les deux types de souffleurs (électriques et à essence) engendrent des niveaux de décibels bien supérieurs aux limites recommandées par l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) ? Les souffleurs à feuilles électriques génèrent en moyenne 80 décibels, et ceux à essence, jusqu’à 115 décibels. C’est un peu plus bruyant qu’un concert rock (110 décibels).

Si vous conduisiez une auto avec un tuyau d’échappement produisant un tel vacarme, vous vous feriez arrêter par la police. Selon les normes fixées par le gouvernement du Québec, un taux de 120 décibels, par exemple, équivaut à la sirène d’un véhicule d’urgence ou au décollage d’un avion entendu à 300 mètres de distance. Cela peut occasionner un début de douleur aux tympans.

Aux États-Unis, l’Agence de médecine du travail autorise une exposition quotidienne de seulement 20 minutes à un niveau sonore de 100 décibels, alors que beaucoup de jardiniers utilisent leur souffleur de 115 décibels pendant de longues heures.

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Je gage que ce machin-truc nous vient encore une fois des Américains : cette propension à utiliser le bazooka pour tuer une mouche. Cependant, j’ai confiance en la nature humaine. Je suis certain que, d’ici quelques années, nous nous débarrasserons de cette infâme invention. J’en ai eu la certitude en découvrant ce verset méconnu du prophète Nostradamus qui indique ceci : « En l’an 2050, en terre d’Amérique, grande quantité de bidules à long bec, inventés pour souffler mortes feuilles, finiront dans parcours des trouvailles puis agoniseront dans cour de ferraille. »