Chronique

SÉMINAIRE : 4 ans sur 200

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Ainsi le séminaire de Saint-Hyacinthe fête ses 200 ans d’existence. J’y ai passé quatre petites années sur ces deux siècles : quatre années pourtant déterminantes dans ma vie. Je souhaite à tous les étudiants qui font leur rentrée scolaire – qu’ils soient du public ou du privé -, de rencontrer leur Monsieur Major.

Je suis arrivé au séminaire par accident. À l’époque, la Commission scolaire régionale de l’Yamaska s’était engagée à offrir un cours classique dans le secteur public. Ma maîtresse du primaire voulait que j’y aille : elle avait convaincu mes parents.

Je me retrouve donc à « l’externat classique » qui se situait à ce moment-là à l’ancienne école Saint-Dominique, l’actuelle bibliothèque T-A-St-Germain. Nous étions perçus comme une bande de bizarres. Des jeunes marginaux qui dérogeaient du parcours habituel. Et qui apprenaient le latin, pensez donc !

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Carte émise à mon arrivée à l’externat classique du secteur public. Notez que le numéro de téléphone compte 5 chiffres… au lieu de 10, comme aujourd’hui. Ça ne me rajeunit pas…

Dans les faits, je me souviens que certains d’entre nous étaient effectivement des « cas ». Les professeurs – tous des hommes – avaient de la difficulté à composer avec ces hurluberlus. Il faut dire que quelques-uns – dont je tairai le nom puisque l’un d’entre eux est devenu un homme d’affaires « respectable » de Saint-Hyacinthe et il n’hésiterait pas à me poursuivre pour libelle diffamatoire… – démontraient un talent particulier pour faire rager les profs.

À tel point que plusieurs enseignants firent un burnout. Je ne sais pas si c’est à cause de cela, mais la commission scolaire décida de mettre fin à l’expérience. Comme elle s’était engagée à nous offrir un cours classique, tous les élèves de l’externat furent redirigés au séminaire. C’est l’État qui allait payer la note ! Yes sir !

L’arrivée des brûleurs de profs

Bardés de notre réputation de durs à cuire et de brûleurs de profs, nous arrivons donc à la vénérable institution de la rue Girouard. On nous y attendait de pied ferme ! D’abord un examen pour évaluer notre quotient intellectuel. À la surprise générale, la plupart des zigs de l’externat passent le test. Oh horreur ! Quelques p’tits gars des quartiers populaires obtiennent de meilleurs résultats que des fils d’avocats ou de médecins…

Mais le vrai test allait se jouer au gymnase. Le prof d’éduc avait décidé de nous mettre au pas dès le départ : les gars de l’externat d’un côté, les réguliers de l’autre. Il nous réservait un traitement particulier : faire le tour de la salle à genoux… sur le terrazzo.

Pour montrer de quel bois on se chauffait, notre joyeuse bande de « rejects » a convenu de toujours faire le double de ce qu’il demandait. Il réclamait 25 push-ups : on en faisait 50. Si bien qu’il se lassa de ce stratagème et nous traita bientôt comme les réguliers.

Monsieur Major

Lorsque je pense à mes quatre années au séminaire, mille anecdotes me reviennent à l’esprit. La plupart sont heureuses. Il y aurait de la matière à écrire un livre : un roman sans drame, sans effusion de sang, sans déchirement intérieur. Bref, un roman qui ne se vendrait pas.

Quelques professeurs m’ont marqué : parmi eux, Serge Joyal qui est devenu sénateur ; Monsieur Pinault, le prof de maths, qui chaussait des 13 et qui a démontré une infinie patience envers mon aversion pour les chiffres. Et Monsieur Major, Monsieur Major…

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Une étrangeté de la petite histoire maskoutaine. La carte est émise par la commission scolaire et l’école fréquentée : le séminaire.

Monsieur Major m’enseignait le français. Grand, mince, le nez effilé et les cheveux bouclés, il avait de longs bras interminables qui gesticulaient sans arrêt lorsqu’il nous parlait de littérature. Vous auriez dû le voir lorsqu’il a abordé son auteur préféré : Fedor Dostoïevski.

Monsieur Major avait une passion pour les auteurs russes, mais Dostoïevski était certes son meilleur. Je me souviens de ses yeux exorbités, de l’écume aux commissures des lèvres, de l’état extatique dans lequel il se trouvait lorsqu’il nous a parlé des frères Karamazov. Sérieusement, il était encore plus exalté que Michel Bergeron quand il se remémore l’époque glorieuse des frères Stastny…

Transmettre sa passion

N’empêche que Monsieur Major a réussi à me transmettre sa passion pour les lettres, sa passion pour les mots. À partir de cette année-là, j’ai lu beaucoup de romans. D’abord les Russes, évidemment : Dostoïevski, bien sûr, puis Tolstoï, Tchekhov et ensuite, tout ce qui me tombait sous la main. Des romans, des essais, des nouvelles, j’étais boulimique.

La rencontre de Monsieur Major fut pour moi déterminante. C’est probablement grâce à lui si j’ai fait des études en lettres, puis en journalisme. Les enseignants ne se rendent pas toujours compte de l’influence qu’ils peuvent avoir sur leurs élèves. Transmettre un intérêt, une passion, le goût d’en apprendre davantage sur une matière, quelle qu’elle soit.

Ces pédagogues d’exception, on les retrouve tant dans les écoles privées que dans le secteur public. Dans mon cas, c’était les deux à la fois, étrangeté de la petite histoire maskoutaine.

Mais à chaque fois que je passe devant le séminaire, ce n’est pas le prestigieux édifice que je vois, mais tous ces visages qui défilent et qui ont marqué quatre merveilleuses années de ma vie. Dont un certain Monsieur Major, dont j’ai oublié le prénom…

Site du bicentenaire du séminaire de Saint-Hyacinthe