Chronique

Un autre possible : une réelle démocratie municipale

Jacinthe Paradis, résidente du centre-ville était parmi les nombreux citoyens à participer à la mobilisation du 7 décembre dernier. Photo : Nelson Dion

« Les autres possibles » est une chronique écrite à quatre mains par François-Olivier Chené et Marijo Demers, tous deux enseignants en science politique au Cégep de Saint-Hyacinthe. Chaque mois, ils se prêtent à l’exercice de sortir du prêt-à-penser politique et du sens commun pour démontrer qu’il y a, en latence, une multitude d’autres possibles qui n’attendent qu’une volonté politique pour se déployer.

 

La séance extraordinaire du conseil municipal de la Ville de Saint-Hyacinthe, tenue le 17 décembre dernier, portait sur le plan directeur des trottoirs et la modification du zonage d’une portion du centre-ville. Cette soirée houleuse a mis en lumière un fait criant : malgré une forte mobilisation citoyenne autour des deux enjeux (dépôt d’une pétition, action d’éclat symbolique, interventions au micro, lettres ouvertes, vidéos sur le Web), le pouvoir politique municipal, réputé le plus près du citoyen et le plus accessible, lui échappe totalement. Cette dépossession politique du citoyen est la norme au Québec.

Jacinthe Paradis, résidente du centre-ville était parmi les nombreux citoyens à participer à la mobilisation du 7 décembre dernier. Photo : Nelson DionMais pourquoi en est-il ainsi ? Afin de fournir les services qu’on attend d’elles, les villes ont besoin d’argent et leur principale source de financement est la taxe foncière. Les municipalités se tournent donc vers les promoteurs immobiliers et les parcs industriels, grands générateurs de recettes fiscales. Dans un tel contexte, écouter des citoyens et leur faire une place dans le processus politique décisionnel, eux qui ne veulent pas de ces développements ou qui remettent en question la façon de faire, paraît contre-productif. Ces citoyens sont souvent dépeints comme des empêcheurs de tourner en rond, des nuisances ou, simplement, des bruits de fond qu’on s’efforce d’atténuer, d’encadrer à coup de séances de consultation bidon.

Le référendum d’initiative populaire comme autre possible : les citoyens sont tout aussi compétents que les élus

Pourtant, d’autres possibles politiques ont cours et méritent qu’on s’y attarde. Cela fait bientôt trois ans qu’en tant qu’enseignants de science politique au collégial, nous amenons des groupes d’étudiants en Europe. En Suisse, nous avons découvert une culture démocratique basée, d’une part, sur le consensus et, d’autre part, sur la décentralisation et sur le pouvoir politique citoyen.

En Suisse, les gouvernements sont composés de ministres provenant de différents partis politiques, les forçant à discuter, à faire des compromis, à s’écouter, bref, à gouverner en tenant compte des différents courants de pensées de la population. On est loin de la situation québécoise où un parti qui obtient 38 % des votes contrôle entièrement le gouvernement, ce qui peut créer beaucoup de frustrations chez la population qui ne s’y sent pas représentée.

Le pouvoir politique citoyen suisse s’incarne par le référendum d’initiative populaire, présent à tous les paliers de gouvernement. La population est non seulement appelée aux urnes sur les questions importantes, mais elle peut elle-même décider de demander aux politiciens de légiférer sur une question particulière. Qu’est-ce que ça donne, concrètement ? Chaque année, les Suisses tiennent quatre journées de votations populaires sur toutes sortes de sujets. De fait, environ la moitié de tous les référendums tenus dans le monde se déroulent en Suisse.

Ce système de référendum d’initiative populaire sert de garde-fou face à des élus qui seraient tentés de légiférer à l’encontre des intérêts politiques citoyens et entretient cette culture du consensus. Il ne suffit pas pour des élus d’avoir une majorité au conseil pour adopter tous les règlements qu’ils veulent. Ils doivent être à l’écoute des citoyens. En d’autres termes, la possibilité d’un référendum agit comme une force tranquille dissuasive.

À travers cet autre possible politique suisse, on découvre une logique démocratique toute simple : en ayant le temps requis pour s’intéresser à la chose politique et en étant informés, les citoyens sont tout aussi compétents que les élus pour décider de manière éclairée. Il serait grand temps qu’ici, nos villes déverrouillent la porte de la maison politique et y fassent entrer et participer le peuple, de manière réelle et significative. La demande et l’appétit pour l’écoute, la reconnaissance et l’implication citoyennes ne vont pas disparaître comme par magie, même si on balaie le tout momentanément sous le tapis. Vous en parlerez d’ailleurs aux centaines de milliers de Gilets jaunes, en France et ailleurs dans le monde, dont l’une des principales demandes politiques est justement le référendum d’initiative citoyenne, qui inclut aussi la possibilité de destituer des élus…