Anne-Marie Aubin
Fuir, geste courageux ou irresponsable ?
Jeune autrice née en 1989, Marie-Sarah Bouchard habite Montréal et œuvre dans le domaine de la publicité et la littérature. Sa première publication, Pas besoin de dire adieu, rassemble douze nouvelles variées ayant pour thème la fuite. Les textes, rédigés sous forme de fragments, présentent des personnages plutôt jeunes qui choisissent de tout quitter. Avec une économie de mots, l’autrice réussit à nous toucher et nous faire réfléchir à cette grande question : fuir est-il un geste courageux ou irresponsable ?
En quête d’identité
Les protagonistes des nouvelles de Marie-Sarah Bouchard choisissent de partir, parfois de façon précipitée, suite à un incident, un malaise, une déception, une séparation, une frustration…
Dans « Je suis une coquille vide »,Simone, étudiante en arts visuels, se cherche un style pour se distinguer du groupe. Un jour, elle entend les moqueries de ses collègues à propos d’une étudiante qu’ils traitent de « coquille vide ». Avant de devenir l’objet des moqueries du groupe, Simone fuit vers des destinations insolites : « L’an prochain je pars vivre à Bucarest ». Les autres avaient ouvert grands les yeux. En vérité elle avait voulu dire Budapest et elle avait juré intérieurement en le réalisant une fraction de seconde trop tard, mais il était hors de question d’admettre son erreur. […] à l’instant où les roues de l’avion avaient touché le sol de Bucarest avec un choc assez brutal, elle s’était sérieusement demandé ce qu’elle faisait là. »
Quitter la ville
Comme plusieurs l’ont fait pendant la pandémie, deux couples choisissent de vivre en région. Dans « La victime de Vénus », un jeune couple quitte Griffintown vers une maison centenaire dans le bois. Ce grand saut ne se passe pas sans heurts : « Chaque matin de bonne heure, Henri partait. Le travail était loin. Léonie, elle, n’avait qu’à monter au deuxième et à allumer son portable. Pratique. Et d’une infinie solitude. Elle se tourmentait tout le temps en se répétant, je sais, tu me l’avais dit, tu m’avais prévenue que je m’ennuierais. »
Toutefois, dans « Il pensera à eux », on peut espérer mieux pour les trois amis médecins. Suite à leurs cinq années d’études, Camille et Gilles, devenus un couple, feront leur internat en région, contrairement à Thierry qui sera à Montréal. Le jour du déménagement, tous les trois prennent la route vers la baie des Chaleurs. Thierry réfléchit à cette relation qui sera forcément différente : « Il aperçoit l’immensité bleue qui s’étend à l’infini. » Pendant que ses amis contemplent le paysage dehors derrière la maison. Il décide de partir, car il doit rapporter le camion : « Pas besoin de dire adieu. Il se fait discret, sort par la porte avant. Le noroît gomme tous les sons. […] Une étrange paix, comme une résignation, gagne peu à peu son conducteur. Il pensera à eux, parfois, souvent. »
La distance, le parcours professionnel, les événements de la vie font en sorte que parfois nous prenons des directions différentes. Voilà en bref ce que l’autrice dépeint avec ironie, tendresse et réalisme dans un décor actuel. Un excellent premier recueil !
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Marie-Sarah Bouchard. Pas besoin de dire adieu. Éditions Boréal, 160 p.
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