Culture

La fiancée, adaptation féministe d’un classique yiddish

La fiancée est l’adaptation, sous forme de roman graphique, de la pièce de théâtre Le Dibbouk, un classique de la littérature yiddishécrit par Shalom Anski en 1918 en Russie. Adaptée et illustrée par Éléonore Goldberg, cette version féministe raconte le triste sort de deux jeunes amoureux à qui l’on refuse le mariage.  

La fiancée

Les premières pages présentent une jeune fille seule sur un canapé dans une pièce sombre. On apprend qu’elle pense à son amoureux que son père n’aime pas. Inquiet de sa lassitude, son père lui suggère de lire un livre intitulé Le Dibbouk : « Tiens, lis cette pièce. C’est un chef-d’œuvre! Le Roméo et Juliette de la littérature yiddish! » Sa grand-mère l’encourage à lire cette pièce dont elle a peu de souvenirs sinon que « la fille… elle ne veut pas se marier. »  Elle ouvre le livre et nous lisons avec elle.

Une promesse oubliée

Cette pièce se déroule en Ukraine dans un shtetl – une petite bourgade juive – à la fin du XIXe siècle. Deux amis, Sender et Nissen, se promettent de marier plus tard leurs enfants lorsqu’ils en auront. Ils auront de part et d’autre des enfants : Sender aura une fille, Léa, et Nissen aura un fils, Khonen. Or, Nissen meurt avant même la naissance de son fils. Le temps passe, les familles ne se fréquentent plus et la promesse fut oubliée.

Plusieurs années après, dans le but de trouver un mari qui fera vivre sa fille, Sender reçoit des étudiants de la yeshiva (lieu où on étudie la Torah) et, parmi eux, Khonen, étudiant talmudiste doué, s’éprend de Léa : « Les semaines passent. Je croise parfois Khonen le samedi matin en sortant de la synagogue. Ses yeux brillent, Mon cœur bat si fort que j’ai peur que papa l’entende. Il ne l’a plus invité à notre table et il s’est mis en quête d’un mari « comme il faut pour moi. Je crains qu’il ne le trouve… »

Sender ne reconnaît pas Khonen. Sans se soucier des sentiments de sa fille, il veut marier Léa au fils d’un riche. Grand mystique habité par la passion, Khonen prie et jeûne jusqu’à la mort : « La cabbale, elle, libère mon âme, elle m’ouvre les cieux et soulève les voiles de l’éternité! »  

La malédiction

Juste avant ce mariage arrangé, Léa va prier sur la tombe de sa mère et celle des Saints Fiancés, couple légendaire qu’on a tué, torturé le jour de leur mariage. Le texte prend alors une allure fantastique. Léa, habitée par un esprit errant, ne peut se marier, conséquence de la promesse non tenue par son père. « Si un être meurt avant son heure, s’il ne trouve pas de repos, si aucun corps ne l’accueille en son sein, cet être est voué à la plus grande des solitudes. La pire des souffrances. »

Les illustrations, en noir et blanc, servent bien ce récit dramatique. Parfois symboliques, poétiques, elles suggèrent des atmosphères. Des plans variés, des double-pages, des traits parfois hachurés se marient au récit. À quelques endroits, des doubles pages entièrement noires témoignent de la mort.

À la fin, on reconnait la toile Judith, de Gustav Klimt. Ce personnage biblique, jeune juive veuve qui n’hésite pas à décapiter le général Holopherne pour sauver sa ville, souligne l’héroïsme de Léa, féministe avant l’heure, renonçant à ce mariage arrangé. Une lecture incontournable pour mieux connaître ce classique de la littérature yiddish.   

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Éléonore Goldberg. La fiancée. D’après Le Dibbouk, de S. Ansky. Traduction de Moshe Volf Dolman. Montréal, Éditions Mécanique Générale, 2023, 311 p.