Culture
LIVRES

Le terroir revisité

L'auteur, Laurent Lussier. Photo : Chantal Lecours

J’ai un bon souvenir du premier roman de Laurent Lussier : Un mal terrible se prépare, où il était question du territoire, d’un lieu jamais nommé mais inondé de telle sorte que les gens vivaient juchés aux arbres.  À peine exagérée, cette situation nous rappelle les pluies torrentielles tombées au début du mois d’août. Dans son nouveau roman, Monumentaux, illuminés, − clin d’œil à Originaux et détraqués de Louis Fréchette −  l’auteur raconte divers pans de l’histoire du XXe siècle québécois.  De nombreux personnages, véritables et inventés, tissent le récit en mariant faits historiques et fiction. Un réel plaisir de lecture.

Critique sociale et culturelle  

Créé de toute pièce, Joseph Houle dit Gérin-Lajoie apparaît dès le premier chapitre. Petit-fils d’Antoine Gérin-Lajoie – auteur du célèbre roman Jean Rivard, le défricheur –, Joseph possède un manuscrit inédit que son grand-père aurait écrit peu de temps avant de mourir, en 1882 : Jean Rivard, abatiste.  Du manuscrit, « il tirait un enseignement fondamental : le Canada français n’avait d’autre destin que d’exploiter ses ressources naturelles. Il supposait que le premier colon, en expédiant la première peau de castor, avait scellé le sort de ce pays qui ne pourrait dès lors faire autre chose que de reproduire éternellement le cycle d’extraction et de vente de toutes les richesses qu’il arracherait à la terre sur toute l’étendue de territoire qu’il parviendrait à conquérir. »

Inspiré par ce manuscrit, Joseph Houle fonde l’école de l’Abatis, où des bûcherons plus grands que nature travaillent sur ses terres : « Pourquoi… se placer sous les ordres d’un contremaître qui nous dictera quoi faire la journée longue? J’ai tant de terres que nous n’en viendrons jamais à bout. Buchons chez nous. »

Les chapitres suivants sont consacrés à Lucien Godin, Hélène Cinq-Mars, Rose Bibeau-Godin, Gérard Crête, des hommes architectes et des femmes qui rêvent de le devenir parce que refusées dans les écoles. Cette uchronie complexe témoigne de l’érudition et de la connaissance de la culture canadienne-française de Laurent Lussier.  

L’auteur à l’imagination incroyable offre un récit passionnant et ne mâche pas ses mots pour critiquer nombre de personnages : « ce vieux constipé de Mgr Bruchési. » Du roman Jean Rivard, il dira qu’il s’agit d’une « ode à la destruction des forêts », un « livre didactique, poussiéreux, indécrottable classique du canon canadien, Gérard avait dû en subir la prose au collège, tout comme celle de Maria Chapdelaine et de La Terre paternelle. »

Comme l’Université McGill n’accepte pas les filles, Hélène Cinq-Mars, refusée à l’école d’architecture, va militer contre le régime Duplessis. Impliquée socialement, elle dénonce : « Si Dieu est partout, pourquoi construire des églises? »

La Petite Trappe à Saint-Hyacinthe

Dans les années 1930, le porc devient la nourriture préférée des colons.  Les trappistes vont acheter un terrain près de Saint-Hyacinthe, au bord de la Yamaska. Ils nomment ce lieu « La Petite Trappe » en lien avec la trappe d’Oka qui fabrique du fromage. Lucien Godin, architecte, a l’idée de faire cohabiter les porcs et les habitants. Comment? « Il fallait élever les porcs en sous-sol » et « comme on les faisait manger continuellement, les porcs avaient chaud; cette chaleur se communiquait par le plafond : miracle, les logements de la Petite Trappe ne nécessitaient aucun chauffage. » Mais que faire de leurs excréments? « D’une deuxième chapelle simulée en aval, les eaux usées s’écoulaient dans la rivière. » Qu’adviendra-t-il de La Petite Trappe?  Allez lire, vous ne serez pas surpris.

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Laurent Lussier, Monumentaux, illuminés.  Éditions La Mèche, 2023, 431 pages.