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Quand la passion l’emporte

Certains auteurs signent des histoires audacieuses sachant qu’elles ne feront pas l’unanimité. S’ils persistent et signent, ne serait-ce pas parce que ces histoires sont vécues? Inspirées de faits réels?  Simplement bouleversantes? Il y a un peu de tout cela sans doute.

Voici deux romans très intéressants, deux histoires de passion qui ne laisseront personne indifférent.

La vie est un mauvais écrivain ou l’amour secret.

Hadley Dyer a grandi en Nouvelle Écosse et vit maintenant à Toronto où elle œuvre à promouvoir la lecture. Riche de son expérience d’éditrice, elle a signé seize romans jeunesse et s’est mérité plusieurs prix dont le Canadian Library Association‘s Book of the Year for Children Award.

Son plus récent roman se déroule dans un petit village de Nouvelle-Écosse au début des années 1990.  L’héroïne, George, se fait appeler ainsi car son père attendait un garçon. Ce dernier disait toujours: « La vie est un mauvais écrivain », voulant ainsi dire que nous aimerions tous réécrire notre vie.

D’entrée de jeu, la jeune narratrice nous transporte au début de l’épisode le plus dramatique de son existence, soit son année terminale juste avant l’Université. Alors que l’amitié soudait cinq jeunes adolescents, voilà que tout va chavirer : conflits, mensonges, amours, expériences sexuelles, alcool, drogues… bref tout ce qui caractérise la fin de l’adolescence.

Âgée de 17 ans, George ne pense qu’à quitter son patelin où elle souffre de solitude, supporte mal l’autorité de son père et s’ennuie ferme à l’école. Employée au phare du village, édifice centenaire sauvé par la société historique, elle accueille les touristes pendant la belle saison. À la fin de l’été, alors qu’elle flânait au phare, elle rencontre un jeune homme venu d’ailleurs : « Quel âge avait-il, ce Venu du Lointain? Vingt-cinq ans? Il n’était pas aussi grand que Joshua, ni aussi baraqué que Bill, mais il était mille fois plus présent que n’importe lequel des mecs que je connaissais, plus réel d’une certaine manière […] »

Il se nomme Francis, il est flic, et a 29 ans.  Tous les deux dévorés par la passion, ils doivent vivre leur amour dans le plus grand secret. George a du mal à gérer ces émotions qui l’habitent, en plus de la maladie de son père et des mesquineries de ses amis à l’école.

L’auteure canadienne rend bien les états d’âme excessifs de cette jeune adolescente par son sens de la répartie et les pointes d’humour allègent le propos. La musique et la poésie de Sylvia Plath, et Elisabeth Bishop entre autres, ajoutent au décor maritime où se déroule ce drame.  

Ce roman de plus de 400 pages, narré par la jeune adolescente George, se dévore d’un trait! 

La fontaine d’Ambre ou l’amour interdit

Camille Bouchard, auteur prolifique, n’a pas peur d’aborder des sujets tabous dans ses romans pour la jeunesse. Tous les lecteurs ont été bouleversés à la lecture de son roman : Le coup de la girafe. Finaliste et lauréat de nombreux prix littéraires, Camille Bouchard aborde dans La fontaine d’Ambre un sujet audacieux en littérature jeunesse : l’amour interdit.

Ambre, c’est le nom d’une jeune enseignante de 30 ans qui fait son entrée à la polyvalente pour remplacer un professeur d’histoire en congé de maladie. À peine remise d’une rupture amoureuse, elle manque de confiance au moment de prendre place sur la tribune devant une classe d’élèves de secondaire IV. Rien pour l’aider, un faux pas lui fait perdre pied et elle se ridiculise devant toute la classe ! C’est à ce moment que Clovis, jeune étudiant de 16 ans, lui vient en aide. Entre les deux un coup de foudre vient de frapper.

« Fallait-il véritablement un incident de ce genre pour que je réalise ta présence ? Qu’un événement à la fois dramatique et cocasse permette de démarquer ton comportement de celui des autres ? […] Moi, une femme mature et équilibrée […] âgée de bientôt trente ans, avec presqu’une décennie de métier comme enseignante, je venais de m’enticher de l’un de mes étudiants de quatorze ans mon cadet. »

D’un chapitre à l’autre, Ambre et Clovis se racontent l’un à l’autre, en alternance.  Le malaise d’Ambre devant leur écart d’âge, conjugué à la passion et au désir amoureux du jeune Clovis, nous permettent d’anticiper le drame.

« Tu étais partout autour de moi : dans mon sac d’école, au milieu de mes notes, sur les rayons de ma bibliothèque […] Je sentais encore la chaleur de ton épaule contre la mienne, ton petit doigt enfoui contre le mien, l’haleine de ta respiration, le lilas de ton parfum… »

L’auteur, faisant allusion au roman Lolita de Nabokov, confie avoir voulu écrire : « […] un beau roman sur un sujet qui ne l’est pas. » Contrairement à Nabokov, l’auteur a choisi d’inverser les rôles, le personnage adulte est féminin. Camille Bouchard fait bien sentir la sensualité et la passion qui habitent les héros, le ton est toujours juste et humain. En ce qui concerne le sujet, il fait confiance aux jeunes adolescents à qui il s’adresse : « […] nos lecteurs adolescents sont parfaitement aptes à faire la part des choses entre les comportements amoraux de personnages fictifs et le simple plaisir de suivre leurs péripéties. »

Voilà deux romans originaux et passionnants !

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Camille Bouchard. La fontaine d’Ambre. Éditions Soulières, 2018, 146 p. (Graffiti + 122)

Hadley Dyer. La vie est un mauvais écrivain. Traduction de Nathalie Perrony. Éditions Gallimard jeunesse, 2019, 409 p.