Culture

Si vis pacem, para bellum

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J’ai participé à cinq grèves durant mes études postsecondaires. Faut dire que nous étions au milieu des années 70. Les cégeps venaient d’ouvrir. Cinq grèves et quelques petites manifestations collatérales ici et là. C’était dans l’air du temps…

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Une manifestation devant le Palais de justice de Saint-Hyacinthe dans les années 70.
Photo : Centre d’histoire de Saint-Hyacinthe.

Je me souviens d’une assemblée générale particulièrement houleuse. La cafétéria du cégep était bondée.

Les étudiants attendaient en file pour se faire entendre au micro. Des arguments pour, des arguments contre, mais surtout des pour, bien sûr. Les rares qui s’aventuraient à s’opposer à la grève se faisaient copieusement huer.

Au bout de la file, un grand dadais attendait. Je l’avais à l’œil, celui-là, puisque quelques semaines plus tôt, il avait tenté de cruiser ma blonde.

C’était le gars qui organisait des week-ends de camping d’hiver. Tsé, le genre à se les faire geler sur un banc de neige et trouver ça le fun. Il avait offert gentiment à ma blonde de coucher toute nue dans son sleeping. Elle avait refusé (bien sûr…) et m’avait tout raconté au retour.

« Il ne se passera rien. C’est juste pour mieux partager notre chaleur corporelle » qu’il lui avait dit. Mon oeil, Bernard Voyer, tu apprendras que c’est plus difficile de conquérir ma blonde que de gravir l’Everest. Ascension qu’il fit, d’ailleurs, plusieurs années plus tard.

Je l’avais donc à l’œil, ce Bernard Voyer. Il attendait au bout de la ligne depuis de longues minutes. Quand il arriva au micro, il a pris une grande respiration. Après un silence bien calculé (il a toujours été un peu théâtral, ce Bernard), il déclare haut et fort : « SI VIS PACEM, PARA BELLUM ».

 

Dans la salle, aucune réaction. Jusqu’à ce que le petit Robert – qui connaissait aussi le latin – se mette à applaudir très fort. Comme Tit-Bob était un contestataire notoire, tout le monde a vite compris que Voyer venait de lancer une espèce d’appel à la mobilisation générale. Un tollé d’applaudissements s’ensuivit et l’on vota massivement pour le débrayage.

Si vis pacem, para bellum (si tu veux la paix, prépare la guerre), une locution latine qu’on avait apprise au séminaire. Pas sûr que notre prof de latin aurait apprécié que cette maxime devienne le cri de ralliement d’une grève d’étudiants.

Elle était contre quoi, cette grève, au juste ? Contre la couleur des murs de la cafétéria ? Contre l’interdiction de fumer dans les salles de cours ? Je blague. Les motifs devaient être sérieux, bien sûr…

Mais pas autant que ceux qui motivent les étudiants à sortir ces jours-ci. Car c’est un choix de société dont il est question : pas juste une affaire de chiffres.

La hausse annoncée des frais de scolarité participe à une logique marchande à laquelle carbure notre gouvernement depuis quelque temps. Ce n’est pas nouveau, mais cette fois-ci, il semble y tenir mordicus. Il semble prêt à faire la bellum.

Mais que veulent-ils, dans le fond, les jeunes ? Avoir la possibilité d’étudier, bien sûr, mais peut-être aussi d’avoir un espace de liberté avant de s’atteler au marché du travail. Un espace où ils peuvent tâtonner, faire des expériences, et parfois élaborer des rêves fous. Comme celui de gravir l’Everest, par exemple.