Lettre ouverte
« Je suis un commissaire! »
Mon histoire a commencé à la rentrée scolaire 2010. Ma fille aînée faisait cette année là son entrée à la maternelle. À son retour du premier jour il y avait dans la pile de papier qu’elle nous avait ramené une feuille bleue ayant pour titre Invitation à l’assemblée générale des parents. « C’est sûrement important» m’a dit ma conjointe, «je ne peux pas y aller donc tu ira».
Ma mère assistait souvent aux rencontres de ce qui était à l’époque un comité de parents. Dans ma tête d’enfant ces réunions avaient lieu dans le gymnase, c’était bondé et tumultueux. J’ai constaté avec étonnement que c’était dans une classe qu’était tenue la rencontre et que la foule attendue n’était qu’une douzaine de parents
Au moment de choisir les nouveaux membres du conseil d’établissement les candidatures étaient trop peu nombreuses… La présidente s’est tournée vers moi et a dit «Martin, tu viens avec nous?», j’ai accepté. C’est comme ça, un peu par hasard, qu’a débuté la longue chaîne d’événements qui m’a mené à écrire ce texte aujourd’hui.
Tout doucement j’ai fait mon chemin : j’ai appris comment fonctionne une école et les bases de la démocratie scolaire pendant l’an un de mon mandat. Le conseil d’établissement avec ses parents et membres du personnel est à la base de tout, vient ensuite le comité de parents de la commission scolaire où chaque école est représentée par son délégué, enfin se trouve le conseil des commissaires composé de membres élus au suffrage universel ou pour certains par les membres du comité de parents. C’est une mécanique simple qui garantit que les intérêts de toute la population sont pris en compte parce que l’éducation concerne tout le monde, elle est le socle sur lequel nous bâtissons notre société.
Au début de l’an deux j’ai accepté de représenter notre école à la table du comité de parents de la commission scolaire de St-Hyacinthe. Je me trouvais tout à coup au coeur d’un groupe où toutes les écoles de la région étaient représentées et où chacun avait son mot à dire. Tous les mois nous devions nous pencher sur les différents sujets de consultation venus du conseil des commissaires et parfois même l’un d’entre eux nous visitait. Une belle dynamique s’est installée à cette époque entre nous et nous avons contribué à améliorer la situation de tous les enfants de notre commission scolaire.
Puis un bon matin une petite catastrophe est tombée sur notre école : Mme Claire, qui offrait un service de cafétéria tous les midis, perdait son contrat pour une différence de cinq sous par rapport au plus bas soumissionnaire, une grosse entreprise de Québec. Je suis monté aux barricades avec d’autres parents d’écoles rencontrés au comité de parents et vivant une situation semblable. Le conseil des commissaires accepta de nous recevoir en comité de travail; on nous expliqua comment la loi obligeait l’organisation à octroyer les contrats au plus bas soumissionnaire conforme. Après discussion avec les parents présents il fut convenu d’établir des critères qualitatifs en collaboration avec les écoles concernées quand un appel d’offres mettait à risque un service apprécié par les parents.
L’année électorale scolaire de 2014 commençait à la suite de cette expérience qui m’avait montré que la démocratie est un exercice de vigilance. Je n’avais vu le commissaire me représentant que trois ou quatre fois au cours de quatre années d’implication scolaire, je savais qu’un dépassement de la capacité d’accueil était imminent dans l’une des écoles de ma circonscription et qu’il faudrait que quelqu’un garde cette situation à l’oeil pour éviter que les choses ne dégénèrent. J’entendais le clic-clic d’une bombe à retardement immense et j’étais l’un des seul dans le milieu à pouvoir agir pour empêcher la catastrophe. Le poste de commissaire de la circonscription 03 était disponible et j’avais la possibilité d’accomplir quelque chose de bien pour ma communauté.
J’ai donc pris mon bâton de pèlerin et j’ai commencé à parcourir ma circonscription scolaire à la rencontre de parents, des élus municipaux et d’autres groupes sociaux; trois écoles avec plus d’une demi heure de route entre mon domicile et la plus éloignée, quatre conseils municipaux, un cercle des fermières, des clubs de l’âge d’or et une population de plus de sept mille électeurs. Nous avons discuté des différents enjeux propres à leurs milieux et bien que personne n’était passionné par la perspective d’une élection scolaire j’ai pu prendre la mesure des besoins de la circonscription. Il ne me fallait que dix signatures pour présenter une déclaration de candidature à un poste de commissaire mais j’étais fort de plus de cinquante, soit suffisamment pour briguer la présidence!
Dès mon élection je me suis mis au travail. Mon ancien commissaire n’était pas très près des conseils d’établissements – il importe de noter que le commissaire n’a pas pour tâche de visiter les conseils d’établissements, il n’est pas payé pour et ne reçois aucune compensation pour son déplacement – j’allais les visiter le plus souvent possible. Je peux vous dire avec fierté que j’ai assisté à la majorité des conseils d’établissements et que j’ai aussi participé à quelques événements comme des levées de fonds. C’est là que j’ai appris à mieux connaître les milieux que je dois représenter et plusieurs fois j’ai porté leurs demandes ou leurs besoins devant le conseil des commissaires ou la direction générale.
Le gros dossier de mon mandat fut sans conteste celui d’un dépassement de clientèle dans l’une de «mes» écoles. Les prévisions étaient sans équivoques : près de 50 enfants de la communauté seraient en trop dans un horizon de cinq ans. La loi sur l’instruction publique était claire : aucun financement ne serait accordé à la commission scolaire pour la construction de salles de classes parce que nous pouvions déplacer des enfants vers le village voisin. Celui-ci était à dix-huit kilomètres soit juste assez près pour que soit refusé un financement. La municipalité projetait à cette époque la construction d’un gymnase doté de locaux communautaires sur un terrain lui appartenant à quelques centaines de mètres de l’école. Je suis allé rencontrer les élus de cette municipalité pour leur exposer le problème et il ne leur fallut que peu de temps pour conclure que le déplacement de ces enfants était inacceptable. Un terrain voisin de l’école et assez grand pour leur projet était disponible, ils firent une offre qui fut acceptée. C’était une situation idéale de collaboration entre deux administrations publiques; le gymnase serait mis à la disponibilité de l’école de jour pour être utilisé par les enfants et le soir serait rendu à la municipalité pour les activités de loisir. Des locaux étaient même offert pour servir de salle de classe aussi longtemps que nécessaire et ainsi garder les enfants au village. L’ancien gymnase désuet serait transformé par l’école en locaux pour le service de garde.
Encore fallait-il parvenir à une entente officielle entre les deux organisations pour débloquer la subvention et officialiser le partenariat. Pendant des semaines j’ai fait l’aller retour entre la directrice générale de la municipalité et le directeur des ressources matérielles de la commission scolaire pour m’assurer que le dossier reste bien actif. Le temps pressait, nous étions en novembre et la construction devait être prête pour la rentrée à l’automne suivant sans quoi les premiers enfants à être déplacés en masse ne pourraient étudier dans leur village de résidence. J’ai arrondis les aspérités, secoué quelques puces et même organisé une rencontre entre les têtes dirigeantes des deux organisations au moment où le torchon brûlait au point de retarder ou même de mettre en péril le projet.
Une fois l’entente bien ficelée et ratifiée par les deux parties la municipalité a pu lancer les travaux. Défiant tout les pronostics le chantier lancé en mars fut terminé à temps pour la rentrée, un exploit dans le domaine public. Il ne restait que quelques détails à compléter, ce qui fut fait dans les semaines suivantes. Je suis convaincu que sans l’intervention politique d’un commissaire élu dans ce dossier jamais l’entente n’aurait été conclue à temps, peut-être même jamais, et des dizaines de familles en auraient souffert. Pour la petite histoire, seul trois élèves ont été déplacés l’année précédant la construction.
En cette rentrée 2019 j’attends avec résignation le projet de loi censé enterrer ces institutions démocratiques mal aimées que sont les commissions scolaires. La démocratie a un prix et celui des commissaires scolaires est une véritable aubaine au regard des gains possibles pour la population. Ce ne sont pas les maigres salaires de trois ou quatre mille dollars annuels que gagne la vaste majorité de mes collègues qui feront la différence en éducation. La concentration des pouvoirs à Québec ou dans les conseils d’établissements où souvent les parents sont mal formés ou n’ont pas conscience de l’étendue réelle de leurs pouvoirs ne fera pas mieux. Qui d’ailleurs acceptera de siéger sur les conseils d’administration des centres de services, d’assister à toutes les réunions, à tous les comités, plusieurs fois par semaine et sans aucun salaire comme le prévoit le ministre? Où sera l’équilibre quand ces bénévoles seront face à du personnel salarié et organisé?
Un ami commissaire me disait récemment que nous sommes très mauvais pour faire notre propre promotion. À vous tous qui êtes mes collègues dans les soixante-douze commissions scolaires de la province, soyez fiers! Montrez à tous ce que nous avons accompli, expliquez comment nos actions peuvent être bénéfiques au système d’éducation. Nous avons tous une histoire à raconter et trop longtemps nous avons accepté de passer sous silence les accomplissements qu’un statut d’élu nous a permis de réaliser. À vous qui êtes nos commettants, n’hésitez pas à nous interpeller : nous sommes la courroie de transmission entre vous et l’administration de notre bien le plus précieux qu’est l’éducation. Nos adresses courriels sont sur le site de votre commission scolaire, n’hésitez pas et écrivez nous.
Martin Nichols
Commissaire à la Commission scolaire de St-Hyacinthe
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