Chronique

Google dans MA cour

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C’était un matin comme je les aime. Ni trop chaud, ni trop froid, un matin de septembre ensoleillé. J’ai eu l’idée de faire une petite brassée, une petite brassée de foncé à l’eau froide. Un temps idéal pour étendre sur la corde à linge.

Me voilà donc sur le balcon en train d’épingler des chemises, des culottes et autres vêtements de mon intimité. Le ciel était d’un bleu ciel, sans aucun nuage. Ça sentait bon le linge propre. Je me sentais bien comme on peut se sentir bien lorsqu’on effectue une tâche routinière qui berce nos neurones dans un réconfortant ronron.

Quand tout à coup, sans crier gare, sans même un petit coup de klaxon, la « chose » est entrée dans ma cour. Une petite auto colorée avec, sur le toit, une grosse boule noire. La grosse boule noire avait des yeux tout le tour de la tête. Des yeux qui m’observaient.

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La « boule » de Google.

Le véhicule s’était immobilisé à quelques mètres de moi. Il est resté là, sans bouger, quelques secondes. Je sentais le regard de la boule qui me scrutait comme une créature intraterrestre. Une sensation bizarre. D’un côté, la boule violait mon intimité. Elle m’avait surpris, en quelque sorte, les culottes baissées.

D’un autre côté, je pressentais que mes culottes allaient passer à la postérité. Ainsi filmé par Google Street View, le linge que j’étendais sur la corde allait faire le tour du monde et n’importe quel quidam, de Pékin à Paris, aurait dorénavant la possibilité de me voir en train d’étendre mes pantalons noirs ou mes bobettes assorties.

Google en a décidé ainsi !

Bien sûr, on va probablement me brouiller le visage – comme « Il » fait habituellement dans ces cas-là -, mais mon enveloppe corporelle sera néanmoins, et dorénavant, de propriété publique. Ai-je le choix ? Pas du tout ! Google en a décidé ainsi !

Lorsque le véhicule a reculé pour sortir, les six lettres colorées étaient bien visibles sur la portière : G-O-O-G-L-E. J’ai eu un léger frisson. Le maître du monde, dans ma cour… Il fallait que ma maison soit la dernière de la rue pour qu’une telle rencontre se produise. Google n’avait pas le choix d’entrer dans ma cour : je vis dans un cul-de-sac. Il faut que j’assume ma destinée.

Évidemment, je vais vérifier régulièrement si ce moment de grâce est en ligne sur Google Street View. Pour l’heure, ce sont encore les vieilles images de ma corde à linge vierge que l’on aperçoit. On verra un jour mes pantalons noirs et ses bobettes assorties. Mais surtout, on apercevra la silhouette floue d’un humain qui regarde le dieu Google, droit dans les yeux.