Chronique

Mon cheval brisé

Ça fait deux mois que je n’ai pas écrit de chronique. Pas qu’il ne se passe rien qui ne m’interpelle dans l’actualité, bien au contraire… Je pense que je ne savais pas comment en parler. Je ne le sais pas encore vraiment, mais je m’y essaie.



Il y a eu en cet automne une vague déferlante de dénonciations d’agressions sexuelles sur les réseaux sociaux,  sous le mot clé #AgressionNonDénoncée. Le sujet a d’ailleurs été abordé dans plusieurs médias dont Mobiles, par notre chère collaboratrice Caroline Laplante, ici.

C’est à ce moment que le besoin d’écrire à mon tour sur le sujet est monté, très fort.

Mais comme je vous le disais, je n’y suis pas arrivée. Trop dur. Chaque récit de ces femmes me fait l’effet d’un poinçon dans le cœur.  Je les ai lu le plus que j’ai pu. Mais de parler ensuite…

Là, pour me donner du courage, j’écoute Angèle Arsenault ‘’de temps en temps moi j’ai les bleus’’.  C’est ce que j’écoutais très souvent, enfant.  En me  berçant sur mon cheval à bascule. Je mettais le disque d’Angèle sur mon petit tourne-disque fisherprice et j’écoutais tout l’album… De ‘’je veux toute la vivre ma vie’’ à ‘’je suis libre’’, en passant bien sûr par ‘’moi, je mange’’. Elle ne le savait pas, la chère Angèle, à quel point ses mots allaient accompagner alors ma jeune vie et les années à venir. 

Parce que lorsque tu te fais agressée sexuellement, enfant, ta vie ne t’appartient plus tellement. Tu ne t’appartiens plus.  L’angoisse s’installe à demeure, et le peu de liberté ressenti sur le cheval à bascule disparait. C’est sûr que tu peux ‘’prendre un ptit coup, fumer des tits bouts, ou que tu peux manger ‘’ (!!!) comme le chante Angèle, mais disons qu’enfant en plus t’as pour la plupart du temps même pas accès à ça. Facque tu peux manger, pis te bercer. Pis moi, à force de swinger sur mon cheval à écouter Angèle, ben je l’ai pété. Faut dire que je me promenais partout avec le cheval tellement je le swignais, mon père pour ma sécurité (il avait peur que je tombe dans les marches) l’avait fixé au plancher. Ça lui a pas plus fait que moi de perdre sa liberté, y’a pété. 

Alors comme enfant, pas grand pouvoir. Attendre que ça passe. Grandir au plus sacrant.

Heureusement, j’ai fini par parler, et j’ai été crue. Qu’est-ce que je serais devenue, enfant, si mes parents ne m’avaient pas crue et agit pour me protéger ? Je n’ose pas trop y penser. Je ne sais pas. Et j’ai pas tellement envie d’imaginer.

Alors. 

Lorsqu’une femme prend la parole pour dénoncer l’agression sexuelle qu’elle a vécue, qu’elle le fasse de façon anonyme ou qu’elle le placarde sur la porte de professeurs de l’UQAM, ou encore qu’elle le fasse en nommant le nom de personnalités publiques, la seule chose qui compte en bout de ligne c’est de la croire. 

Je vous garantis qu’il n’y a pas une seule femme au monde qui ait envie d’avoir une attention pareille sur elle. 

Pas. Une. Seule.

C’est le temps d’écouter, le temps d’accueillir du mieux qu’on le peut. Jamais de questionner ou de tenter de ‘’dédramatiser’’. La prise de parole en elle-même est curative. Elle est aussi dangereuse, puisqu’elle expose celle qui la prend à toute sorte de critiques et de suspicions.

Heureusement, aujourd’hui, je me sens assez solide pour en parler et pour faire face à ce que ça pourra susciter comme réactions (ou pas, tsé, je crois encore en la bonté humaine même si on est en droit de se demander pourquoi.)

La chose va à peu près comme suit : Je me protégerai, et je protégerai aussi la petite qui a été agressée en moi. Elle est en sécurité, maintenant. Je suis là.

J’aimerais nous souhaiter toutes et tous la guérison sociale de ces violences sociales, enchâssées dans le patriarcat,  faites aux femmes et aux enfants. J’ai bon espoir, puisque nous sommes plusieurs à avoir parlé. Et je ne doute pas que nous soyons toujours encore plus à le faire en 2015.

Et nous serons là.  À veiller.  Nombreuses, de plus en plus. Pour que les enfants puissent se balancer sur leur cheval à bascule en paix.

Et chanter ‘’je suis libre’’  !