Chronique

La semaine de 4 jours : Faire plus avec moins?

Il y a deux ans presque jour pour jour, Simon Jolin-Barrette, qui n’était pas encore ministre à l’époque, publiait un livre dans lequel il disait souhaiter que les Québécois travaillent plus et valorisent davantage les semaines de 60 heures, afin que le Québec soit une société plus productive. À première vue, son raisonnement semble logique : plus on travaille, plus on est productif. Cependant, quand on creuse un peu, ce raisonnement perd rapidement de son lustre.

Selon la Commission de la santé mentale du Canada, près de la moitié des employés estiment que leur milieu de travail est l’élément le plus stressant de leur quotidien, et les problèmes de santé mentale liés au travail coûtent annuellement environ 20 milliards de dollars à l’économie canadienne. En Grande-Bretagne, le quart des journées de maladie prises par les employés sont dues à la surcharge de travail. Autrement dit, travailler trop coûte cher : on est moins efficace au travail, on s’absente plus souvent, on se présente au travail malade ou trop fatigué pour travailler, on fait plus d’erreurs professionnelles, etc. Sans oublier les conséquences désastreuses de la surcharge de travail sur la qualité de vie des gens qui la subissent.

Au lieu de s’inspirer, comme le fait Simon Jolin-Barrette, d’un modèle américain fantasmé (soit dit en passant, les Américains travaillent seulement 80 heures de plus que les Canadiens… par année!), on pourrait s’inspirer d’autres expériences qui vont dans le sens inverse et qui donnent des résultats surprenants.

L’exemple de la Suède : la semaine de 30 heures

En 1998, la France a été pionnière en instaurant la semaine de travail de 35 heures. C’est déjà un premier pas intéressant, mais certains sont allés un peu plus loin, depuis. En Suède, par exemple, plusieurs entreprises et administrations ont tenté l’expérience de la semaine de travail limitée à 30 heures. Citons deux cas.

Le premier est celui d’une maison d’hébergement pour personnes âgées, qui a adopté la semaine de 30 heures pendant un an et a évalué les effets de cette mesure. Les employées étaient plus heureuses, plus en forme et, surtout, elles ont augmenté de façon considérable le temps passé à faire des activités avec les résidents.

Le deuxième cas est celui d’un grand hôpital, où on a adopté les mêmes mesures, et où on a effectué 20% plus d’opérations, où l’absentéisme a chuté et… où les délais d’attente ont été considérablement réduits. Il faut croire que le Québec fait fausse route en forçant les employés des hôpitaux à faire des journées de plus de 10 heures pour réduire les délais d’attente!

Allons un peu plus loin : la semaine de 4 jours

L’actuelle première ministre finlandaise a dit, l’an dernier, souhaiter établir la semaine de travail à 4 journées de 6 heures. Est-ce une mesure qui est souhaitable? Une expérience japonaise nous donne une partie de la réponse.

Au Japon, l’entreprise Microsoft a fait l’expérience d’une semaine de 4 jours, en fermant ses portes le vendredi, durant tout le mois d’août 2019. Deux conclusions se sont dégagées de cette expérience. La première n’étonnera personne : plus de 90% des employés étaient favorables à l’idée d’avoir une fin de semaine de 3 jours. La deuxième en surprendra plusieurs, dont M. Jolin-Barrette : la productivité de l’entreprise a augmenté de près de 40%. Les gens sont plus reposés, donc plus productifs, et organisent mieux leurs journées de travail (autrement dit, moins de temps passé sur Facebook pendant les heures de bureau!).

Faire plus avec moins?

Plusieurs autres expériences un peu partout dans le monde vont dans le même sens. Pourtant, on ressent beaucoup de résistance contre de telles mesures. Nous sommes collectivement placés devant un faux dilemme : si on donne aux gens une certaine qualité de vie, on croit que cela se fera au détriment de la productivité. Or, les expériences faites ici et là et plusieurs études, dont celle de l’Organisation internationale du Travail, font la preuve du contraire. Plus les gens travaillent, moins ils sont productifs et plus ils ont tendance à faire des erreurs professionnelles.

Lorsque les gouvernements passés nous disaient qu’on devait faire plus avec moins, ils voulaient dire qu’il fallait donner plus de services avec moins d’employés. C’est une pensée magique dont il faut se débarrasser. Il faut en effet faire plus avec moins : plus de qualité de vie et plus de productivité, avec moins d’heures de travail pour les employés. C’est ce que nous enseignent les autres possibles.