Chronique

Les autres possibles : démocratie bâillonnée

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La loi sur la laïcité, la loi sur le nombre d’immigrants qui peuvent entrer au Québec, la loi sur les tarifs d’Hydro-Québec, la loi sur l’abolition des commissions scolaires. Quatre lois qui ont et auront une influence importante sur le Québec. Quatre lois qui ont été adoptées sous le bâillon… en huit mois.

Pourtant, dans le passé, la CAQ était prompte à déchirer sa chemise lorsque les gouvernements imposaient le bâillon. François Bonnardel a même affirmé que « ce n’est jamais une bonne nouvelle pour notre démocratie ». Maintenant au pouvoir, le CAQ imite ses prédécesseurs et même accélère le rythme auquel le bâillon est imposé. 

Le bâillon – et la loi spéciale, très similaire –  est une procédure qui permet au gouvernement de terminer le débat sur un projet de loi très rapidement. Alors qu’un projet de loi normal peut prendre une année à être adopté, le temps de faire toutes les consultations et tous les débats nécessaires pour s’assurer d’avoir la meilleure loi possible, un bâillon permet de boucler les débats en une trentaine d’heures environ. Il s’agit donc d’adopter la vitesse grand V dans le domaine législatif.

Lorsqu’on l’utilise pour répondre à une urgence nationale, le bâillon peut être très utile, voire nécessaire. C’est d’ailleurs dans cet esprit que cette procédure d’exception a été pensée. Cependant, elle est souvent utilisée, et la CAQ ne fait pas exception, afin de faire passer des projets de loi plus controversés, sans trop subir les inconvénients d’un débat démocratique.

L’occasion de la réforme parlementaire

Y a-t-il moyen de recourir au bâillon exclusivement pour son usage d’origine et non par agenda politique et coup de force?

Il y a quelques semaines à peine, Simon Jolin-Barrette, le ministre responsable de la Réforme parlementaire, dévoilait son projet comportant plusieurs modifications aux travaux et au fonctionnement de l’Assemblée nationale. Soulignons que cette réforme parlementaire proposée est teintée d’une couleur particulière : pour être mise en application, elle doit absolument être négociée avec les partis d’opposition et adoptée à l’unanimité. L’unanimité. Voilà une condition qui aiderait à élever nos élus au-dessus de la partisanerie et à œuvrer pour une meilleure démocratie. C’est le Premier ministre lui-même, François Legault, qui dit vouloir « un Parlement plus efficace, sans enlever des pouvoirs et tous les droits de l’opposition ».

Pour l’instant, aucune des nombreuses propositions faisant partie de la réforme parlementaire soumise par le ministre Jolin-Barrette ne touche au mécanisme du bâillon. Pourtant lors de la dernière réforme parlementaire en 2009, le gouvernement avait modifié la procédure du bâillon pour éviter qu’on y recoure pour déposer des projets de loi mammouth. Une décennie plus tard, nos députés pourraient s’entendre sur la définition de ce que constitue une urgence réelle qui justifierait le bâillon, afin d’éviter une utilisation abusive ou un flou interprétatif, ou sur la nécessité d’avoir l’appui d’au moins une partie de l’opposition pour que le bâillon puisse être adopté.

Autre option possible : confier à un « comité de sages », ou encore à un jury citoyen, le soin de déterminer si une demande du parti au pouvoir de recourir au bâillon revêt bel et bien le caractère d’urgence qui commande son utilisation.

Congrès indépendant : les États-Unis

Une réforme du bâillon pourrait aussi s’inspirer de ce qui se fait aux États-Unis. Tout d’abord, seuls les sénateurs (ils sont élus, aux États-Unis) peuvent adopter une telle procédure. Ainsi, seulement une chambre sur les deux du Congrès américain peut accélérer les débats de la sorte. De plus, alors qu’au Québec, cela ne prend que la majorité des députés présents en chambre, aux États-Unis, cela prend au moins 60 sénateurs (sur 100 au total) qui appuient la procédure de bâillon.

Autre différence notable, le président ne peut s’immiscer dans les débats du Congrès américain. Trump peut écrire sur Twitter qu’il veut que les débats se fassent plus vite, mais il ne peut pas l’imposer aux sénateurs, contrairement au premier ministre québécois. Les États-Unis ont donc un double cran d’arrêt pour empêcher qu’un gouvernement trop empressé puisse freiner le débat démocratique à sa guise comme cela se fait trop souvent au Québec, et à un rythme encore plus élevé depuis que la CAQ est au pouvoir.

En bout de piste, on en revient à s’interroger sur l’argument maintes fois évoqué pour justifier le bâillon : l’efficacité du gouvernement au pouvoir et la nécessité d’adopter les projets de loi à temps. Démocratie et économie de temps font rarement bon ménage. C’est le prix de la démocratie. Si la rapidité et l’efficacité de l’adoption du menu législatif d’une session parlementaire sont les seuls étalons de mesure d’un gouvernement efficient, ce sera toujours la démocratie qui sera perdante.