Chronique

Le Roy aux oubliettes

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Alors que l’ex-blogueur Gab Roy a reçu une sentence de 18 mois de prison pour avoir eu des contacts sexuels avec une mineure aujourd’hui, nous pourrions le laisser sombrer dans l’oubli, se dire qu’on en a assez parlé, et que de fesser sur quelqu’un qui est déjà à terre est d’assez mauvais goût.

Je n’ai jamais été de bon goût ou de bon ton, pas plus que je n’ai été fan de Gab Roy et de son humour trouble et sexiste. Et malgré toutes mes espérances de ne plus avoir à en entendre parler davantage, je me dis que finalement, tant pis, j’aurai ajouté au bruit.

Dire d’abord que si je n’ai pas écouté la vidéo que son ami à l’humour aussi douteux que lui a tournée et dans laquelle il exprime des remords, j’ai quand même été avisée qu’elle est parue juste avant que ne soit prononcée sa sentence aujourd’hui. Que cette manœuvre, aussi bien intentionnée soit-elle, use quand même encore de canaux de privilégiés, c’est‑à‑dire des hommes blancs hétéros (et jeunes) qui ont un auditoire sacrément large sur le Net. Que oui, j’espère bien que les colons qui suivent ces deux‑là (ou les ont suivis) ont compris le message : le victim-bashing, ça fait partie du problème social plus large dans lequel Roy s’est engoncé.

Que la victime, c’est la victime, et l’agresseur, c’est l’agresseur. Que le problème, ce n’est pas qu’il soit intelligent, ou nono, comme certains de ses acolytes passés ont tenté de nous le faire croire. Ce qu’il faut dire, c’est qu’il a été pris dans un système de pouvoir, où il jouissait de privilèges, et dont il a abusé. C’est toute la différence du monde entre reconnaître aussi que ce qu'il a fait était de la nature du contrôle, avant que d’être de nature sexuelle. Que ce n’est pas non plus le fait d’un monstre fini. C’est le dérapage de quelqu’un qui a été mis un peu trop haut sur sa propre échelle narcissique, et qui s’est planté king size en planant au-dessus non pas du bon goût, mais d’autres personnes, de femmes et de filles. Et reconnaitre aussi qu’il n’a pas été le seul à le faire. Que si son humour n’avait pas rejoint autant d’autres personnes, que ce drame pour lequel il va en prison n’aurait peut-être pas eu lieu, possiblement. Roy a été supporté, fortement encouragé pour arriver là où il s’est rendu. Il a été encouragé à agir comme un cave macho. Je ne dis pas qu’il n’est pas entièrement responsable de ses actes, non, pas du tout. Il l’est. Je dis simplement que selon ce que j’en comprends, il n’aurait pas pu se rendre là s’il n’avait pas été supporté à la fois par un auditoire de suiveux machos ascendants misogynes, et par une société qui est imprégnée de la culture du viol. Une société dans laquelle les zones grises passent pour des consentements tacites et préparent le terrain pour que des abus prennent place.

Une société qui crie sa soif de liberté d’expression et qui fait aussi passer l'incitation à la haine des femmes pour un exercice de cette liberté. Et elle peut bien crier comme ça lui chante, puisque de fait, la propagande haineuse contre les femmes n’est pas reconnue en vertu du code criminel. On n’a pas fini d’entendre talker de la shit au nom de la liberté d’expression. On va surtout faire grand cas des évènements autour de Charlie Hebdo et de la liberté de religion et de conscience. En oubliant toutefois que si la propagande haineuse contre les religions et les homosexuels est sanctionnée au niveau criminel, la propagande haineuse et l'incitation à la haine des femmes ne le sont toujours pas. Je sais, je me répète. Je serais ben ben contente de ne pas avoir à le faire.

Alors oui, bien sûr, Gab Roy s’en va pour un temps aux oubliettes. On peut espérer que ça ait un effet réparateur pour la jeune victime, et que personne ne soit assez débile sur le Net pour s’en prendre à elle, encore. On peut aussi espérer que ça ait un effet sur les personnes qui suivaient Gab Roy, et que ça les fasse réfléchir. Mais on ne peut pas non plus tout mettre sur ce coup‑là. Me semble qu’il faut qu’on se sorte la tête du cul et qu’on s’arrange pour faire changer les choses, à commencer par le système de justice lui‑même, qui est éminemment sexiste, à l’image de la société. Là, on pourra dire qu’on a changé quelque chose d’important.

Ça vous tente-tu de faire du bruit ?