Chronique

Les cheveux de mon père

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Ce sont peut-être tous ces hommages posthumes qui regorgent dans l’actualité et mon esprit contradictoire qui agit, mais tout ce dont j’ai envie de parler c’est du fait que toi, tu es bel et bien vivant, p’pa.  Si j’écris ça, c’est que j’ai malgré tout eu peur de te perdre, toi qui n’as jamais eu une santé de fer et qui as eu besoin d’avoir cette importante chirurgie cardiaque la semaine passée. Tout s’est bien déroulé, sinon je serais moi aussi en train d’écrire un hommage posthume ou plus plausiblement d’être roulée en petite boule sur mon divan. 

Il reste que le chemin de la maison à l’hôpital Sacré-Cœur de Montréal m’a appris pas mal de détails sur ta vie et la mienne que je ne connaissais pas. Quand on est passés à côté de la rue Sylva-Clapin à côté d’où je travaille à Saint-Hyacinthe, tu m’as dit : ‘’j’ai resté là pas mal d’étés, chez mon frère’’. Tu m’as raconté qu’enfant tu passais beaucoup de temps avec lui, et que tu l’accompagnais faire sa run de lait. Ce que tu aimais le plus c’était quand les madames sortaient en baby-doll sur leur balcon. 

Rendus à Montréal, dans le bout du boulevard Gouin tu m’as dit encore : ‘’J’ai resté là, avec toi pis ta mère quand t’étais bébé’’.  Vous vous étiez embarrés sur la galerie toi pis m’man un soir d’été pendant que je dormais à l’intérieur. Tu me racontais comment t’étais content au moment où vous aviez réussi à débarrer la porte pour découvrir que je dormais encore, paisiblement. 

Là, tout en s’approchant toujours plus de l’hôpital du Sacré-Cœur, on est passés devant la prison de Bordeaux. Avec un sourire malicieux, t’as déclaré ‘’Pis j’ai resté là aussi ! ‘’. C’est là que tu m’as raconté qu’un soir que tu avais pied à terre pendant ta vie de loup-de-mer, tu t’étais fait arrêter en rentrant chez vous à pied parce que tu avais bu et que tu avais les cheveux longs…  C’était à l’époque du maire Jean Drapeau qui ne tolérait pas les jeunes qui avaient les cheveux longs et qui voulait que sa Ville ait l’air ‘’propre’’ pour l’ouverture de l’Expo 67. Passé devant la cour entre des gens qui avaient autrement contrevenu à la loi que d’être trop méchés et éméchés sur la voie publique et qui pourtant ont été renvoyés avec cautions à payer, toi tu t’es retrouvé à devoir faire deux semaines de prison.  

Quand t’es arrivé à Bordeaux, tu t’es fait demander sur quel plateau de travail tu voulais aller. Tu leur as dit : ‘’Moi, chu marin. T’as-tu un bateau, icitte ? Non ? Ben j’travaille pas.’’ Comme résultat tu t’es retrouvé en ‘’deadlock’’ 24 heures sur 24 pour les deux semaines que tu avais à faire. Tu m’as raconté avec les yeux tristes que la nuit venue, t’étais ben content d’être là parce que des portes des autres cellules régulières qui se débarraient pis des hommes qui hurlaient parce qu’ils étaient agressés, t’en entendais. 

Au bout de 12 jours, t’as dit au gardien que tu pouvais sortir parce que les deux dimanches étaient enlevés pour cause humanitaire religieuse (tu savais ça…). Tu es donc sorti pour t’en retourner à la taverne où tous tes potes marins t’attendaient pour fêter ta sortie. 

C’est à peu près à ce moment de ton récit qu’on est arrivés à l’hôpital Sacré-Cœur, où heureusement, tu n’es pas resté trop longtemps ! Tout s’est très bien déroulé, du soir où on t’a laissé là avec ton petit barda au moment où on t’a ramené à la maison 5 jours après, presque top shape. Je repense au moment où je t’ai laissé à l’hôpital et où tu as gardé 4 items seulement étant donné que tu étais opéré le lendemain matin. Tu avais gardé tes lunettes, un roman, tes pantoufles… Et un peigne. Pour brosser tes cheveux longs.