Chronique

Les élèves québécois et leur parcours scolaire : un portrait d’inégalités aux portes du collégial et de l’université

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Au Québec, chaque année, les mois de mai et de juin sont synonymes, pour les finissants de l’école secondaire, de remise de diplôme, de bal des finissants… et de passage à la suite du parcours scolaire. Or, le chemin scolaire postsecondaire qu’un étudiant québécois typique entreprendra — ou n’entreprendra pas — est assez prédictible selon le type d’école fréquentée et le programme d’études suivi entre 12 et 17 ans. On sait qu’environ 70 % des élèves qui ont leur diplôme d’études secondaires prennent la route du cégep et qu’ensuite, la moitié de ce nombre continue vers l’université. Pour qui les portes du collégial et de l’université sont-elles ouvertes et pour qui sont-elles fermées ?

Pierre Canisius Kamanzi, professeur à l’Université de Montréal, est l’un des auteurs d’une étude menée auprès de plus de 2600 élèves qui apporte une première réponse à cette question. Ce qu’on y apprend, c’est qu’un élève sur deux ayant fréquenté l’école publique dans le secteur dit « régulier » a pris le chemin du cégep, alors qu’ils sont 9 sur 10 chez les élèves du secteur public dans les programmes « particuliers » (sport-étude, programmes enrichis, etc.) et encore un peu plus (94 %) chez les élèves de l’école privée. Il y a donc des inégalités immenses quant à l’accès des élèves au cégep.

Et le fossé se creuse davantage à l’université. S’ils sont plus d’un élève sur deux parmi ceux ayant été inscrits au privé (60 %) ou dans un programme particulier de l’école publique (51 %) à y étudier, seulement 15 % des élèves du secteur régulier de l’école publique s’y rendront. De quoi faire réfléchir !

Est-ce possible de freiner cette inégalité sociale et scolaire, voire de l’aplanir ? Beaucoup de systèmes d’éducation à travers le monde sont inégalitaires, mais il y a un autre possible dont on peut s’inspirer.

La Finlande : l’exemple d’un État qui a tourné le dos au marché concurrentiel de l’éducation

Dans les années 1970, on comptait, en Finlande, deux fois plus d’écoles privées que d’écoles publiques. Le pays a décidé d’entreprendre une vaste réforme basée sur une vision égalitariste du monde de l’éducation et a pratiquement aboli le secteur privé en éducation, moins de 3 % des élèves le fréquentant aujourd’hui. Or, le modèle de l’école finlandaise publique en est un de réussite étincelante.

Depuis quatre décennies, le pays trône dans le peloton de tête de tous les systèmes de classement qui évaluent la performance scolaire, l’accessibilité aux études, la mixité sociale, l’égalité des chances, les habiletés en lecture, en écriture et en mathématiques, entre autres. Comment ce petit pays d’à peine 5 millions d’habitants fait-il pour afficher un taux de diplomation frisant les 100 % pour ses élèves au secondaire ? L’autre possible appliqué par la Finlande a été de tourner le dos à la multiplication des filières possibles à l’école secondaire et à la marchandisation de celle-ci. La recette finlandaise est d’une simplicité désarmante : c’est celle d’avoir une école publique… unique. Et c’est tout.

En Finlande, il y a très peu d’écarts entre les résultats des élèves selon les établissements fréquentés au secondaire, ce qui est loin d’être le cas au Québec ; une brève consultation du palmarès des écoles secondaires étant révélatrice à ce sujet. En outre, le modèle finlandais n’impose pas une vision mur à mur : une grande latitude et beaucoup d’autonomie sont dévolues à chaque établissement et aux enseignants eux-mêmes au sein du réseau d’enseignement public. De plus, l’effet « d’aplanissement » des inégalités sociales par la fréquentation de l’école publique unique en Finlande joue pour beaucoup puisque le fait qu’un élève finlandais vienne d’une famille défavorisée ou riche influe beaucoup moins qu’ailleurs dans le monde sur son parcours scolaire et sur son accès à des études postsecondaires.

Une reproduction des inégalités sociales via l’école secondaire ?

Nous sommes tous deux enseignants de science politique dans le réseau collégial. En août prochain, au début d’une toute nouvelle session, nous accueillerons des étudiants qui, pour la première fois, s’initieront aux études postsecondaires. Parmi cette trentaine de nouveaux visages dans chacune de nos classes, une poignée seulement nous proviendra du secteur régulier de l’école publique, et ils seront encore moins nombreux à se rendre à l’université. Nous sommes, chaque année, les témoins de ce que le Conseil supérieur de l’éducation constate : le système d’éducation québécois est devenu l’un des plus inéquitables au Canada. Est-ce le type de structure scolaire et de modèle d’accès aux études que nous voulons maintenir et privilégier pour notre société ?