Paul-Henri Frenière
Ma première Saint-Jean
Avant que l’on célèbre la Fête nationale des Québécois, le 24 juin, on fêtait la Saint-Jean-Baptiste, « patron des Canadiens français ». J’en ai vécu plusieurs, de ces Saint-Jean, mais jamais je n’oublierai mon premier défilé. Il m’aura apporté des leçons de vie…
J’avais 5 ou 6 ans. Je demeurais dans un petit logement sur la rue Sicotte avec mes parents et mes deux grandes sœurs. Le logement était si petit que je dormais sur un divan-lit dans la cuisine. Mon père travaillait fort, pourtant, dans une usine d’une grosse compagnie japonaise qui venait exploiter nos vaillants travailleurs québécois.
Je jouais dehors. Il faisait beau. Soudain j’entendis une musique qui venait de loin et qui se rapprochait. Elle venait de la rue Dessaulles où demeurait mon grand-père. Je pouvais m’y rendre à pied, ce que je fis, comme attiré par le chant des sirènes.
De ma vie, je n’avais jamais vu une parade. Enfin, peut-être avais-je assisté au défilé du Père Noël, mais celui-là, je ne m’en souviens pas. Là, j’étais impressionné par les chars allégoriques, les madames avec de grandes robes blanches et surtout les fanfares précédées des majorettes.
À la fin, un petit garçon de mon âge, blond et frisé, accompagné d’un mouton, trônait sur son char à lui. Je ne pus faire autrement que de le suivre. À un moment donné, le cortège bifurqua vers la Porte des maires. C’était la fin du trajet.
La musique s’arrêta et les participants déposèrent leurs instruments sur la pelouse du parc adjacent. Je vois encore le soleil scintiller sur les trompettes et les clairons autour de la grosse caisse qui trônait sur le gazon. C’était bien beau tout ça, mais il fallait que je retourne à la maison.
***
C’est là que j’ai découvert pour la première fois la rue Girouard. De beaux arbres, des fleurs et de belles et grandes maisons : rien à voir avec la rue Sicotte. Il me semblait que c’était un autre monde, une sorte de Disneyland pour les enfants.
Dans ma petite tête, j’imaginais que c’était ça le paradis. Le petit Jean-Baptiste frisé blond m’avait conduit au paradis. Malheureusement, après quelques minutes de marche, j’ai eu un envie de pipi, une grosse envie de pipi.
Je savais que je n’avais pas le temps de me rendre à la maison. Je n’étais même pas sûr du chemin à prendre. J’ai alors spotté un petit buisson sous un grand arbre; un endroit discret pour me soulager, ai-je pensé.
À peine avais-je eu le temps de dézipper ma braguette qu’un vieux monsieur sortit de sa belle maison en brandissant un balai au dessus de sa tête. « Va-t-en chez vous, p’tit quétaine! » me cria-t-il.
Je partis en courant sans avoir eu le temps de faire ce que la nature me commandait de faire. Après quelques minutes, je m’arrêtai, honteux, la queue entre les jambes sur lesquelles ruisselait un liquide jaune.
Puis, en marchant, la honte fit place à la colère. Dans ma petite tête d’enfant, je fis les constats suivants : 1- Les vieux monsieurs riches ont de belles maisons. 2- Les vieux monsieurs riches sont méchants. 3- Toujours aller à la toilette avant de suivre la parade.
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