Société

Les croix commémoratives : gestes de mémoire

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Il est difficile de les rater lorsqu’on circule dans la région. Ces petites croix qui longent nos routes sont là pour rappeler qu’un automobiliste a perdu la vie à cet endroit. On les appelle des croix commémoratives.

Elles sont nombreuses. Certaines sont à Saint-Hyacinthe, notamment sur le boulevard Laurier, dans Douville, mais la plupart se trouvent sur les routes de campagne, le long de l’autoroute 20, ou même collées à la voie ferrée. Elles ont été installées par des proches des victimes pour garder en mémoire l’endroit où leur vie s’est brusquement arrêtée.

« C’est un signe de rappel, constate le prêtre Jacques Lamoureux, curé de trois paroisses à Saint-Hyacinthe. Ces croix viennent marquer quelque chose qu’on ne veut pas oublier. »

« Notre intellect se sent dépassé par la mort, surtout lorsque celle-ci est tragique, explique le prêtre Jacques Lamoureux. On l’a encore vu récemment, lorsqu’il y a eu la mort de jeunes enfants. Les gens ont tenu à apporter des fleurs ou des toutous sur les lieux. Ils ont besoin de poser des gestes concrets. » Photo Roger Lafrance

Elles sont liées au processus du deuil, poursuit-il. Au fil des années, les cérémonies funéraires ont grandement diminué. Pourtant, les gens ont toujours besoin de poser des gestes pour marquer leur deuil.

« Notre intellect se sent dépassé par la mort, surtout lorsque celle-ci est tragique. On l’a encore vu récemment, lorsqu’il y a eu la mort de jeunes enfants. Les gens ont tenu à apporter des fleurs ou des toutous sur les lieux. Ils ont besoin de poser des gestes concrets. »

Plusieurs croix commémoratives sont décorées d’un bouquet de fleurs, d’une photo ou d’un élément qui représente bien la ou le disparu. Elles ont aussi donné lieu à une cérémonie qui a réuni des amis proches de la victime, souvent des jeunes, car ils représentent une forte proportion des victimes de la route.

« C’est clair que les jeunes ont besoin de spiritualité, mais ils ne se reconnaissent pas dans ce que leur proposent les religions. Alors, ils trouvent des signes qui viennent d’eux et qui leur parlent davantage », souligne Jacques Lamoureux.

Curieusement, on utilise un symbole résolument religieux pour rappeler la mémoire du défunt : la croix. « Ça montre qu’on vit depuis longtemps dans une société chrétienne, constate le prêtre. La croix est un symbole d’espérance. Elle représente aussi le côté mystérieux de la mort. Même pour les chrétiens, la mort demeure un mystère. »

Ces croix sont un rappel que certains tronçons de route s’avèrent particulièrement mortels, comme ici, sur la route 137, entre Saint-Dominique et Sainte-Cécile-de-Milton. Photo Roger Lafrance

Tolérance envers ces croix

Le Code de la sécurité routière est pourtant clair : nul ne peut installer quelque objet que ce soit sur le chemin public sans une autorisation. Or, tant la Ville de Saint-Hyacinthe que le ministère des Transports font preuve de tolérance envers ces installations. Plusieurs croix sont là depuis de nombreuses années et certaines sont entretenues par ceux qui les ont installées.

À Saint-Hyacinthe, la directrice des communications, Brigitte Massé, indique que la Ville ne dispose d’aucune réglementation en ce sens. Elle précise toutefois que les croix qui se trouvent sur son territoire sont sur des routes numérotées, donc sous la juridiction du ministère des Transports du Québec. Malheureusement, il a été impossible de parler à un représentant du ministère en Montérégie.

Chose certaine, ces croix sont un rappel que certains tronçons de route s’avèrent particulièrement mortels. C’est le cas de la route 137, à la limite entre Saint-Dominique.

 

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Une tradition qui remonte à loin

Phénomène local, ces croix commémoratives ? Pas du tout ! On en retrouve partout à travers le monde. Elles auraient été inspirées d’une tradition espagnole datant du 17e siècle, alors que les porteurs de cercueil avaient l’habitude de marquer les endroits où ils se reposaient.

Aujourd’hui, la coutume s’est répandue en Amérique latine, aux États-Unis, en Europe et même en Australie. En France, on les appelle des « bornes de mémoire ». Dans certains pays, des sites Internet leur sont même consacrés.

Aux États-Unis, leur prolifération a incité plusieurs états à les encadrer, voire à les interdire. Au Québec, la question ne s’est jamais posée.