Chronique

La haine des femmes doit mourir

L’année 2013 s’achève et je cherche un dernier sujet de chronique approprié à notre actualité socio-politique québécoise. Or, avec les 12 jours d’action pour l’élimination de la violence faite aux femmes culminant avec le terrible anniversaire du 6 décembre dernier, je me suis dit que c’était tout trouvé. Mais non. J’ai eu toutes les difficultés du monde à lire sur le sujet, du bout des yeux et ben ben vite. Parce que c’est insupportable.

J’ai tout de même été capable de lire sur le sujet assez pour découvrir des perles de réflexions de femmes féministes* qui ont exprimé une réalité collective qui avait été occultée jusqu’à maintenant : le jour où ces 14 femmes sont tombées sous les balles à la Polytechnique, le féminisme a été aussi tué . Les leaders féministes du Québec ont été accusées d’avoir provoqué le drame par les gains obtenus en faveur de l’égalité. Pire : elles se sont tues.

Mais qu’est-ce qui a bien pu nous arriver à toutes et à tous pour qu’on ne se soit pas levés alors pour dénoncer à cor et à cri que 14 jeunes femmes étudiant dans des domaines traditionnellement réservés aux hommes ont été assassinées parce qu’elles étaient femmes ? Plus retors encore comment a-t-on pu tout en le niant rendre les féministes responsables d’un tel massacre appelant à encore plus de haine vis-à-vis des femmes ?

On a dit de lui qu’il était fou. Et ça a fait notre affaire. En ramenant la responsabilité sur lui seul plutôt que d’y voir un phénomène social. On l’a diagnostiqué post-mortem comme une victime des féministes frustrées qui enlevaient des privilèges aux hommes. Les féministes s’en sont pratiquement excusées. En fait non, elles se sont tues. Les balles ont continué à fuser sur elles, sur nous toutes. Avec comme résultat que le simple fait de se dire féministes est devenu dangereux, nous attirant mépris et railleries, quand ce n’est pas directement de la haine.

Personnellement, la plus grande prise de conscience que j’ai fait ces derniers jours n’a pas été que nous sommes encore jugées et jetées en pâture socialement lorsqu’on se dit féministes, mais bien le fait qu’avec ce formidable backlash accusé par le féminisme depuis le drame de la Polytechnique, la propagande haineuse et l’incitation à la violence faite aux femmes ne soit pas criminellement reconnue en vertu du code criminel. Pas. Reconnue. Le discours incitant à la haine des femmes n’est pas passible d’être condamné. Criminellement.

Je n’avais jamais réalisé ça avant maintenant. Jamais. Pourtant, c’est pas nouveau que ça n’existe pas. La haine des femmes, la misogynie appelant à mépriser les victimes en excusant leurs agresseurs ne fait pas partie de ce qui est condamnable criminellement au Québec, en cette fin 2013.

Hé ben. Et c’est lui qu’on a traité de fou ?

Et on a dit que c’était la faute aux méchantes féministes frustrées qui demandaient le droit à l’égalité entre hommes et femmes ?

Mauvaise nouvelle. On est toutes et tous fous. On est toutes et tous responsable de ce qui n’est pas arrivé après les coups tirés. On n’a pas été capable, parce qu’on était toutes et tous en état de choc après ce trauma, de se regarder et de reconnaître que la haine des femmes, le patriarcat, fait partie de nous, de nos vies. De notre façon de  voir et d’entendre le monde. Le voir, l’entendre, ça fait tellement mal qu’on le nie. C’est un mécanisme de défense légitime. Mais malheureusement, il nous a empêché de  voir que l’homme qui a tué ces 14 femmes l’a fait parce qu’elles étaient femmes. Et que le fait de le nier, après coup, a été un deuxième traumatisme pour toutes les femmes et toutes les féministes du Québec.

Ça suffit.

L’année 2013 se termine. Et pour entamer la prochaine, je nous souhaite à toutes et à tous de guérir les plaies de notre féminisme, et d’œuvrer toutes et tous à faire reconnaître criminellement la propagande haineuse faite aux femmes. En commençant par la reconnaître, d’abord. En la dénonçant, ensuite. Et surtout, en ne la niant pas. Réapproprions-nous enfin notre être ensemble et faisons mourir la haine des femmes. Un quart de siècle plus tard, on devrait être assez grands et grandes pour dépasser notre trauma et agir en ce sens. Au nom de celles qui sont tombées le 6 décembre 1989 et dont je peine encore à entendre les noms :

Geneviève Bergeron (née en 1968), étudiante en génie civil.
Hélène Colgan (née en 1966), étudiante en génie mécanique.
Nathalie Croteau (née en 1966), étudiante en génie mécanique.
Barbara Daigneault (née en 1967), étudiante en génie mécanique.
Anne-Marie Edward (née en 1968), étudiante en génie chimique.
Maud Haviernick (née en 1960), étudiante en génie des matériaux.
Barbara Klucznik-Widajewicz (née en 1958), étudiante infirmière.
Maryse Laganière (née en 1964), employée au département des finances.
Maryse Leclair (née en 1966), étudiante en génie des matériaux.
Anne-Marie Lemay (née en 1967), étudiante en génie mécanique.
Sonia Pelletier (née en 1961), étudiante en génie mécanique.
Michèle Richard (née en 1968), étudiante en génie des matériaux.
Annie St-Arneault (née en 1966), étudiante en génie mécanique.
Annie Turcotte (née en 1969), étudiante en génie des matériaux.

Post-Scriptum :

*
http://sisyphe.org/spip.php?article3454 Diane Guilbault ‘’6 décembre 1989 – Comme un volcan mal éteint’’. 1er décembre 2009, Sisyphe.
http://www.jesuisfeministe.com/?p=6997 Fannie Boisvert Saint-Louis ‘’Le jour où le féminisme est mort’’ 6 décembre 2013, Je suis féministe.
http://lasemainerose.blogspot.ca/2013/12/cette-maudite-salope-la-eu-son-compte.html Marilyse Hamelin ‘’Cette maudite salope-là a eu son compte’’ 4 décembre 2013, La semaine rose.