Chronique

Le Printemps du néocortex ?

Image pour les listes

Félix Hamel (19 ans) de Saint-Jean-Baptiste-de-Rouville ; Raphaël Godhue (19 ans) de Saint-Charles-sur-Richelieu ; Marc Jeannotte-Lachapelle (20 ans) ; Joseph Boulay (19 ans) ; Louis Lévesque (18 ans) ; Paul Senécal (18 ans) et Louis-Moïse Parizeau (17 ans), tous de Saint-Marc-sur-Richelieu. Non, ce ne sont pas des étudiants grévistes du Cégep de Saint-Hyacinthe. Ce sont des jeunes Patriotes qui sont morts dans la sanglante bataille de Saint-Charles en 1837.*

De tout temps, la jeunesse est idéaliste. La jeunesse s’implique dans des causes. Et c’est bien ainsi.

Lorsque le pouvoir public, quelle que soit l’époque, fait preuve d’injustice, il est normal et sain que la jeunesse se lève pour contester l’autorité.

Par définition, la jeunesse est fougueuse, débordante d’énergie, parfois excessive. Sa sensibilité épidermique aux abus de pouvoir peut l’amener à des réactions de violence. C’est le cerveau reptilien qui réagit. Une sorte de réflexe de survie.

Mais contrairement à la Rébellion des patriotes de 1837, le « Printemps érable » de 2012 offre beaucoup d’autres moyens de réagir que la confrontation violente qui, de toute manière, stimulerait la répression et serait inévitablement vouée à l’échec. Le Printemps du néocortex ?

En général, les jeunes ont démontré beaucoup d’intelligence et de créativité dans leur manière de s’opposer à l’État. Leurs leaders, en particulier, ont su composer avec les médias et s’attirer l’appui d’une bonne partie de la population. Mais la durée du conflit a fini par user peu à peu ce capital de sympathie.

Il y a eu, bien sûr, des sondages plus ou moins trafiqués pour servir la position du gouvernement. Il y a eu, aussi, certains commentateurs de Quebecor et de Gesca qui ont déversé leur fiel sur le dos des étudiants. Cette fronde des médias traditionnels a rejoint manifestement un certain public.

Mais, en bout de ligne, les jeunes leaders ont si bien manœuvré qu’ils ont poussé Jean Charest et son conseil des ministres à leur dernier retranchement. Ils ont surtout orchestré une incroyable mobilisation ; du jamais vu, même dans les tumultueuses années 70. Un coup d’éclat qui a même des résonances dans les médias étrangers.

Acculé au mur de son incompétence, le Premier ministre (et ministre de la Jeunesse, ne l’oublions pas) a sorti une loi matraque, espérant se garantir la paix jusqu’aux prochaines élections. Dans son esprit, j’imagine, il mettait définitivement le couvercle sur la marmite.

Mais, encore une fois, Jean Charest a très mal évalué l’intelligence et la créativité des étudiants. Et leur détermination, surtout. Si la loi 78 est une manifestation du cerveau reptilien, inspirée par la colère et l’esprit revanchard, la réplique devra faire appel aux zones plus évoluées de la boîte crânienne.

Mais faudrait-il que les étudiants répriment leurs pulsions primaires et canalisent cette formidable énergie dans des actions positives.

Les jeunes en sont capables. L’inventivité, l’humour, la solidarité que l’on a pu constater chez la plupart des manifestants démontrent qu’ils ont largement dépassé le réflexe du poing sur la gueule. Ils en sont à une autre étape.

Car le Printemps érable est tout, sauf un feu de paille. C’est un cours accéléré de sciences politiques pour des milliers d’étudiants. C’est une prise de conscience collective des grands enjeux de la société. Depuis le début, ou presque, on a grandement élargi la question des frais de scolarité. Les jeunes se posent maintenant la question : « Dans quel monde voulons-nous vivre ? »

Le conflit finira par s’apaiser. Il sera temps, alors, de mettre en pratique les grandes leçons tirées de cette confrontation. Il sera temps d’investir les lieux de pouvoir pour enfin bâtir un monde à l’image de leurs aspirations.

Investir le politique. Pas pour reproduire les mêmes patterns, les mêmes erreurs, les mêmes modèles basés sur la corruption et les jeux d’influence, mais pour construire une société véritablement démocratique où le bien commun sera valorisé.

Investir le médiatique. C’est déjà commencé ! Ils savent mieux que quiconque utiliser les réseaux sociaux pour communiquer. L’avenir des médias traditionnels sera bientôt à la remorque de leur créativité en ce domaine.

Investir le monde des affaires. Pourquoi pas ? Si l’on veut que la richesse soit répartie équitablement, faudrait peut-être que les dirigeants des entreprises soient conscients des conséquences des inégalités. Il y a sûrement quelques entrepreneurs, dans la cohorte des grévistes d’aujourd’hui, qui se souviendront des leçons du Printemps du néocortex…

* Source : Saint-Charles 1837 et la survie d’un peuple menacé, Georges Bellemare, édition Guérin, Montréal, 2005.

***

J’ai ressorti cette chanson de 1970 qui a été écrite après la promulgation de la Loi des mesures de guerre. Changez le mot « César » par le mot « Charest », juste pour le fun…