Chronique

Le TEMPS des préposés

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On n’a jamais autant parlé des préposés aux bénéficiaires que depuis quelques semaines. Pour plusieurs, ce fut la découverte d’un métier mal connu et pourtant essentiel. Il aura fallu la pandémie pour lever le voile sur les conditions de travail déplorables de ces employées – surtout des femmes – qui sont pourtant la cheville ouvrière de tout le système de santé.

Moi-même, j’ai oeuvré dans le domaine à une époque, mais les conditions étaient bien différentes. Durant mes études collégiales et universitaires, à la fin des années 70, j’ai exercé ce travail à temps partiel. D’abord à l’hôpital Honoré-Mercier et, plus tard, pour des agences à Québec et à Montréal. J’ai rencontré toutes sortes de personnes : des personnes psychiatrisées, des personnes handicapées et finalement, des personnes âgées.

À Montréal, l’agence pour laquelle je travaillais pouvait m’envoyer dans les CHSLD aux quatre coins de la ville et ce, le jour, le soir ou la nuit. Souvent, on m’appelait à la dernière minute. J’arrivais dans des lieux inconnus et je rencontrais du personnel et des « bénéficiaires » que je ne connaissais pas non plus.

J’accomplissais les tâches habituelles d’un préposé : laver, faire les lits, donner à manger et le reste. Mais le plus important, c’est que j’avais le TEMPS de converser avec eux et d’apprendre à les connaître, du moins un peu.

Je me souviens, entre autres, d’un vieux monsieur d’origine espagnole qui avait passé sa vie à donner des cours de danse sociale. Il m’a raconté des anecdotes de sa jeunesse et je voyais que ça lui faisait du bien. J’ai vu aussi des femmes préposées qui prenaient le temps de discuter et de chouchouter un peu leurs patientes. C’était il y a plus de 40 ans…

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On était bien loin des histoires d’horreur que l’on a lues dans les journaux ces derniers temps.

Il faut dire que le coronavirus a changé la donne. Mais ce cataclysme a été le révélateur d’une situation qui s’est dégradée au fil des ans, particulièrement ces dernières années.

Vous vous souvenez de la fameuse « méthode Toyota » du docteur Yves Bolduc, alors ministre libéral de la Santé, en 2008? L’idée c’était, en gros, de supprimer les gestes dits inutiles pour améliorer la performance. La méthode s’était avérée particulièrement efficace sur les chaînes de montage du constructeur automobile japonais.

Or, les personnes âgées ne sont pas des automobiles. Les réformes successives des gouvernements – peu importe lequel – ont déshumanisé progressivement le système de santé, surtout dans les CHSLD.

Aujourd’hui, le gouvernement augmente substantiellement le salaire des préposés aux bénéficiaires. C’est bien. Mais cela ne suffira pas. Si l’on conserve le même ratio de patients pour une préposée, cette dernière finira par s’épuiser et sera, comme avant, poussée à démissionner, à quitter cet enfer. Le salaire ne règlera pas tout. Il faut prioritairement améliorer les conditions de travail.

On recherche des personnes « de coeur » pour s’engager dans cette vocation. Mais encore faudra-t-il que qu’elles aient le TEMPS d’exprimer leur empathie auprès des personnes âgées.

Non, les vieux ne sont pas des bagnoles.