Chronique

Moi, l’expo et le pogo

Je ne suis pas allé à l'exposition agricole cette année. Ni l'an passé. Ni l'autre avant. En fait, je ne me rappelle pas la dernière fois où j'y ai mis les pieds.

Ma désaffection pour la grande foire maskoutaine date de loin. Il faut dire que j'ai passé mon enfance à un coin de rue du site. Alors, le brouhaha de la fin juillet, je connais, j'ai donné.

Bien sûr, les premières années, c'était le fun. Les manèges, les tits lapins, les pogos… Oui les pogos. C'est là que j'ai découvert les pogos. C'est bon les pogos quand t'es petit et que tu n'as jamais entendu de ta vie le mot cholestérol.

 J'ai commencé à déchanter le premier été où j'y ai travaillé. Un vrai travail. Un travail payé. J'avais 13 ans et j'étais engagé pour faire partie de l'équipe qui faisait le ménage du site après les festivités. C'est comme faire la vaisselle quand la visite est partie. Mais là, c'était une méchante grosse visite.

Je me souviens encore de l'odeur des barils de fast food laissés au soleil. Une odeur qui te colle aux narines pendant des jours et qui te fait faire des cauchemars. Le retour des zombis en odorama.

Des tonnes de cochonneries laissées sur le site. Et quand je dis cochonnerie, je parle au propre et au figuré. Le propre étant le purin et le figuré, je vous laisse figurer.

Bref, à partir de cet été-là, je n'ai plus vu l'expo agricole avec les mêmes yeux. Et je n'ai plus jamais mangé de pogos.

Avec les années, j'ai changé. Comme la société autour de moi qui a évolué. On connaît beaucoup plus de choses sur l'environnement, la pollution et les bonnes affaires à manger. Mais on dirait que l'expo, elle, est restée la même.

Bien sûr, elle a grossi. Il y a plus de bâtiments, plus d'asphalte, plus d'animaux, plus d'autos autour et plus de bruit. Les vaches sont plus grosses, les tracteurs sont plus gros… Parlons-en des tracteurs.

Je demeure maintenant à l'autre bout de la ville et j'entends encore, certains soirs, le rugissement de ces monstres d'acier qui rappelle le parc jurassique. Le cri du tyrannosaure qui veut impressionner la galerie. 

C'est à celui qui rugirait le plus fort, ferait le plus de boucane. Et il y les séances de démolition d'autos : des gladiateurs à casques et à tacots modifiés qui s'entrechoquent et se démolissent à qui mieux mieux pour exciter la foule. Des démonstrations archaïques qui font appel au cerveau reptilien et à ses vieux réflexes belliqueux.

Mais bon, ne soyons pas trop négatif. Je ne voudrais pas que l'expo agricole disparaisse. La vieille institution de 177 ans ne mérite pas de lever les pattes. L'univers agroalimentaire a encore besoin d'une manifestation d'envergure, d'un rituel festif, d'un temple.

Le Québec a besoin de ça. Ne serait-ce que pour montrer aux enfants que ça prend des poules pour faire des œufs et des vaches pour faire du lait. Et que les brunes font du lait au chocolat.

Non, je voudrais simplement que l'expo agricole se modernise, qu'elle arrive enfin au 21e siècle. Je sais, je rêve, mais je souhaite qu'un jour on remplace les shows de tracteurs par des shows de créateurs. Les derbys de démolition par des derbys de création. Le pogo par du bio.