Chronique

Penser et développer la ville autrement

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« Les autres possibles » est une chronique écrite à quatre mains par François-Olivier Chené et Marijo Demers, tous deux enseignants en science politique au Cégep de Saint-Hyacinthe. Chaque mois, ils se prêtent à l’exercice de sortir du prêt-à-penser politique et du sens commun pour démontrer qu’il y a, en latence, une multitude d’autres possibles qui n’attendent qu’une volonté politique pour se déployer.

 

Qu’ont en commun le projet Royalmount, qui vise à construire un mégacomplexe commercial, touristique et résidentiel à Mont-Royal, et l’éventuelle densification du centre-ville riverain de Saint-Hyacinthe par le biais de la construction d’immeubles de six à huit étages ? Ces deux exemples, bien que d’envergure différente, représentent d’alléchantes perspectives de nouvelles rentrées fiscales pour des villes de taille moyenne qui ne peuvent plus avoir recours à l’étalement urbain pour prendre de l’expansion et remplir leurs coffres.

Les coûts augmentent pour les villes : inflation, masse salariale, services plus étendus. Par conséquent, elles doivent trouver de l’argent. Dans le système actuel, près de 60 % des revenus des municipalités québécoises proviennent de l’impôt foncier. Il n’est donc pas étonnant que ce qui oriente le développement urbain chez les élus repose en fait entre les mains des promoteurs immobiliers et, plus largement, entre celles du secteur privé.

Dans la course à l’augmentation de la cagnotte foncière, la municipalité québécoise typique évolue dans un environnement hautement compétitif : laquelle attirera un siège social, une grande usine de transformation, une mégabannière commerciale, un promoteur-développeur d’un nouveau quartier ? Voir autrement quand il est question de développer la ville est chose possible en continuant la perception de taxes, mais en la pensant différemment.

Une taxation selon l’utilisation du sol

Une des possibilités est de mettre en place une taxe différenciée selon l’utilisation du sol par son propriétaire, modèle auquel l’Allemagne a recours en partie. Il ne s’agit pas, pour les villes, de se priver de revenus fonciers, mais plutôt de les moduler différemment pour encourager certaines pratiques de développement urbain et d’utilisation du sol, et en limiter ou en décourager d’autres.

Comment ça marche ? Cultiver une terre qui sert à nourrir, ça ne revient pas au même usage du sol que celui d’en acquérir une et de la laisser en jachère à des fins de spéculation foncière. À superficie égale, le taux de taxation de la terre agricole ensemencée serait plus bas que celle inutilisée. De même, sur une artère commerciale, la franchise d’une grande bannière mondialement connue paie présentement, pour une valeur foncière comparable, le même taux de taxation que le commerce local et indépendant, ce qui ne tient aucunement compte des énormes disparités dans les marges de profit des deux types d’entreprises.

Si une municipalité veut dynamiser son centre-ville, épauler ses entrepreneurs locaux et, surtout, éviter le sort de la rue St-Cyrille de la célèbre chanson des Colocs, La rue principale, elle peut le faire ! Moduler l’impôt foncier des commerçants, en étant moins gourmande pour les enseignes locales et indépendantes, serait une avenue à considérer. Ce faisant, on se distance aussi du modèle dominant de compétition intermunicipale : on vise en premier lieu la rétention, la valorisation et le développement du commerce de proximité.

Le partage des revenus

Cela ne règle toutefois pas complètement le problème de la compétition entre villes d’une même région, ou entre quartiers d’une même ville. Pour ce faire, on peut s’inspirer des twin cities, Minneapolis–Saint Paul, qui ont mis en place un système de partage de revenus depuis 1971. Dans un tel système, chaque municipalité ou quartier place une partie de ses revenus dans un budget régional qui sert à réduire les disparités de revenus entre les localités. Ainsi, une industrie ou un commerce qui s’installerait à Saint-Louis ou à Saint-Pie profiterait à l’ensemble de la MRC des Maskoutains, tout en préservant l’autonomie de chaque municipalité et en favorisant la coopération entre elles.

Au-delà des colonnes de chiffres

La « valeur » de l’utilisation du sol et l’autonomie des municipalités méritent qu’on s’y attarde autrement que ce qui a été fait jusqu’à maintenant. La ville pourrait choisir de cibler et de taxer différemment les usages les plus dommageables pour l’environnement et le tissu social, ceux qui, en fait, nous éloignent collectivement du maintien et de la bonification de notre milieu de vie. L’autonomie locale ne doit pas se traduire par une compétition entre municipalités qui ont tout intérêt à collaborer.

Telle pourrait être la boussole qui guide une municipalité en matière de taxation. La ville serait pensée et développée bien autrement.