Politique

La densification : Le pourquoi et le comment

pier-alex_facebook

Le 7 octobre dernier, cela faisait un an que près de 200 citoyens marchaient dans les rues du centre-ville de Saint-Hyacinthe pour manifester leur soutien envers les locataires de la rue Saint-François. Leur message : plusieurs de ces locataires inquiets ne se sentaient pas écoutés par l’administration municipale ni par le promoteur qui a maintenant acheté les terrains.

Cette marche faisait suite à plusieurs tentatives de citoyens concernés par les récents développements dans le quartier. En effet, des modifications au règlement d’urbanisme, créant la zone centre-ville riveraine (CVR), permettaient la construction d’édifices de six à huit étages. Leurs préoccupations : l’expulsion potentielle de personnes âgées ou vulnérables, la destruction de l’offre de logements abordables et la hauteur du bâtiment qu’il est projeté de construire.

Avec l’anniversaire de l’événement et la multitude d’autres projets auxquels plusieurs citoyens se montrent critiques, c’est à se demander pour quelles raisons la Ville a autant de problèmes à produire une vision séduisante du développement urbain. Parmi les groupes citoyens critiques de leur démarche, plusieurs sont préoccupés par la défense des droits des locataires, mais aussi par la protection de l’environnement qui propose une densification à échelle humaine. S’impose donc la question suivante : comment réussir la densification de la ville tout en considérant l’urgence climatique, la pénurie de logements et les craintes des résidents ?

Saint-Hyacinthe a besoin de logements

La crise du logement actuelle rend très évident le caractère incontournable de la croissance des villes. La population croît, elle doit se loger, et l’offre n’a pas suivi. L’Institut de la statistique du Québec estimait d’ailleurs qu’autour de 8500 nouvelles personnes habiteraient la MRC des Maskoutains d’ici 2041. Pour une occupation moyenne de 2,1 personnes par logement, cela nous amène à devoir construire un peu plus de 200 logements par année. Les données de la Société canadienne d’hypothèques et de logement nous renseignent sur le fait qu’il s’agit d’un rythme auquel la région était bien habituée, mais les mises en chantier ont ralenti depuis quelques années (voir graphique ci-dessous). D’ailleurs, 2017 et 2018 ont été des années déficitaires en vertu du besoin de 200 nouveaux logements par année.

Source : Statistique Canada. Tableau 34-10-0125-01 (données de la SCHL)

Suivant ce ralentissement, le boom de construction que l’on constate se fait toutefois pour un type de clientèle précis, occasionnant une montée dans le prix des logements disponibles et faisant pression à la hausse sur le prix des logements existants. Le secteur de la construction semble être en mesure de répondre au manque d’unités puisqu’il a été capable de générer près de 400 appartements en 2019 seulement. Ainsi, le questionnement change. Il apparaît clair que la crise en est plutôt une du logement abordable.

Optimiser l’espace

En urbanisme, la densification est largement évoquée comme un outil d’optimisation de l’espace pour les villes. Il s’agit du contrepoids à l’étalement urbain. À l’échelle de la ville, elle permet de rentabiliser les investissements en infrastructures, en transport en commun, et de faciliter la gestion des matières résiduelles. En fait, on diminue la pression fiscale de plusieurs dossiers gérés par l’administration municipale. À l’échelle du quartier, on densifie la base des consommateurs des commerces, on augmente les occasions de socialiser et on améliore les opportunités de développement pour le secteur culturel.

À l’échelle du bâtiment, la densification permet de se montrer plus efficaces sur les questions d’énergie et de chauffage, et d’améliorer le bilan carbone des nouveaux habitants. Pour l’illustrer, en 2017, un appartement québécois moyen consommait près de la moitié de l’énergie d’une maison unifamiliale. Le coût de construction moyen, à surface égale, tend également à diminuer dès lors que l’on ajoute des étages, en plus de permettre la répartition du coût du terrain. Il existe donc la possibilité que la rentabilité, en termes de coûts, se transfère dans les prix.

Toutefois, cette réalité ne se reflète pas nécessairement dans le prix des consommateurs. Ces rendements d’échelles amènent le plus souvent les promoteurs à garnir le bâtiment d’un plus grand nombre d’accessoires de luxe : systèmes de sécurité intégrés, matériaux, installations récréo-sportives, etc. Ces ajouts sont particulièrement prisés par la clientèle la plus ciblée actuellement : les retraités semi-actifs et les ménages à plus hauts revenus. Cette tendance dans le marché sévit depuis plusieurs années et génère un manque dans l’investissement pour l’habitation à prix modique ou abordable.

Des solutions : confronter la pénurie de logements abordables à l’heure des changements climatiques

Force est d’admettre que le cadre légal actuel n’incite aucunement l’initiative privée à solutionner plusieurs des défis avec lesquels la Ville doit composer. Pour le climat, la densification haute fait définitivement partie des outils utiles pour planifier un développement plus durable des villes. Les rapports du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) mentionnent que de décarboner nos modes de vie implique que la densification se produise à proximité des points de services et des lieux d’emploi, et de s’en tenir à sept étages. Ainsi, permettre de bâtir plus haut freine l’étalement urbain, ce qui nous amène à une trajectoire de plus faible émission de GES. Moins d’infrastructures, moins de voitures (à supposer que l’on densifie à proximité des services déjà existants plutôt que de construire un nouveau quartier), moins d’asphalte, moins d’îlots de chaleur et moins d’émissions.

Quant à l’offre de logements abordables, les organismes en logement exigent depuis des années que le pouvoir public se mette en action. Une idée qui circule actuellement dans le milieu : implanter un OBNL rénovant du vieux pour l’offrir à un prix raisonnable. Le modèle n’est pas nouveau. Châteauguay a réussi à endiguer sa crise du logement, il y a quelques années, en agissant directement sur le marché.

Il serait possible d’aller plus loin et de permettre à cet OBNL d’amorcer des mises en chantier. La conjoncture économique donnerait à la Ville le pouvoir d’emprunter à faible coût et de financer de tels projets. Il suffirait de trouver une formule permettant à l’organisme de rembourser les prêts de la Ville sur un certain nombre d’années, de sorte que le trésor public ne se trouve pas perdant. Une telle initiative ferait office de levier, pour notre communauté, afin d’accélérer des projets de construction. Qui plus est, il y a fort à parier que la pression à la baisse sur les prix qu’elle encourrait donnerait un coup de pouce à l’accès à la propriété pour des catégories de résidents pour qui l’intérêt des investissements privés n’est pas de répondre à leurs besoins. Implanter une réglementation du type 20/20/20 permettrait également d’aider au financement d’un parc immobilier abordable, tout en laissant aux promoteurs la liberté de desservir leur clientèle cible.

Construire du beau

Afin de prévenir le décrochage sensoriel des citadins, ou ce que certains chercheurs nomment une sensation d’oppression, il faut aérer le tissu urbain. Une étude de l’université de Tokyo suggérait que la hauteur n’était pas un facteur déterminant de ce type de sensation, puisqu’elle dépendait surtout du contexte entourant le bâtiment. Construire sur six à sept étages, de manière espacée, dans un milieu entouré de verdure ou d’aménagements piétonniers, rend la densification plus digeste qu’une rangée de quatre bâtiments de trois à quatre étages collés sur la rue. Ramener plus de contribuables sur un plus petit espace à gérer permet également d’amortir plus facilement plusieurs de ces investissements publics en verdissement ou en sauvegarde d’éléments du patrimoine architectural, ainsi que d’amorcer de nouveaux projets, comme la bonification du réseau de transport en commun, par exemple.